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du médecin n’était pas fait pour la rassurer. Il partit en recommandant le repos, le calme de l’esprit et les distractions ; il ajouta que le sommeil lui ferait grand bien. — Sans doute, pouvait-on lui répondre, et la santé aussi.

Quoique peu accoutumée à interpréter les oracles de la médecine, Zobeïdeh, dont la pénétration naturelle pouvait se passer des leçons de l’expérience, comprit que le docteur ne conservait aucun espoir. Elle le suivit dans le vestibule, et lui demanda si l’on devait craindre une fin prochaine de la maladie. Sa réponse fut affirmative et précise. Zobeïdeh insista pour savoir combien de jours on pouvait se flatter de conserver l’enfant. La réponse fut encore plus décourageante : ce jour même pourrait bien être le dernier.

Ce n’était pas la curiosité qui avait dicté ces questions à Zobeïdeh ; ce n’était pas non plus la simple et naturelle inquiétude qui nous porte à vouloir pénétrer les menaces de l’avenir et mesurer à l’avance la profondeur de l’abîme où nous craignons de tomber. Zobeïdeh lisait en partie du moins dans le cœur de Kassiba. La cause de ce mal incurable lui était connue, et elle avait résolu de tout risquer pour la détruire et pour renverser la barrière qui venait de s’élever entre elles. Elle saura tout, s’était-elle dit, s’il n’y a pas d’autre moyen de la sauver que de lui dévoiler toutes les plaies de mon cœur, et de la convaincre que ce cœur lui est toujours fidèle. J’arracherai le masque qui préserve ma vie, et je me livrerai à sa merci. Advienne de moi ce que le ciel a décrété ! mais je ne la verrai pas emporter dans le tombeau la pensée que je l’y ai poussée.

Zobeïdeh revint donc auprès de Kassiba, qu’elle trouva agitée et fatiguée par la visite du médecin. Dès que la jeune fille l’aperçut, elle lui demanda avec anxiété si elle avait parlé au docteur et ce qu’il lui avait dit. D’où venait son mal ? Qu’était-il ?… Et la pensée qu’elle ne pouvait ajouter foi aux paroles de Zobeïdeh lui traversant tout à coup l’esprit, elle s’interrompit avec un cri d’angoisse, et elle retomba pâle et défaillante sur ses coussins.

Zobeïdeh n’était pas moins pâle que la mourante, et quiconque les eût vues en ce moment n’eût pas deviné sur laquelle des deux le médecin venait de prononcer l’arrêt ; mais la Circassienne s’était raidie contre la douleur qu’elle venait chercher, et elle s’assit, calme en apparence, auprès du lit de Kassiba ; puis, lui prenant la main, elle lui dit : — Kassiba, ma fille bien-aimée, le docteur assure que ton mal provient uniquement de l’agitation de ton âme.

Kassiba releva la tête, et un éclair de joie brilla dans son regard déjà voilé. — Uniquement ? répéta-t-elle à voix basse. Le docteur a dit cela ?

Mais cette même pensée du terrible intérêt qu’avait Zobeïdeh à