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de l’ambassadeur de France fut nécessaire pour empêcher qu’il ne disparût au fond du Bosphore ou dans l’oubli d’une éternelle captivité[1]. » Voilà la justice turque, voilà l’exécution du code pénal de 1840 !

Le code administratif de 1846 est-il mieux exécuté ? La manière dont la Porte et les fonctionnaires de l’empire pratiquent les règles du code administratif est dans le récit, toujours bienveillant cependant, de M. Viquesnel une véritable scène de comédie. « Le luxe affiché par les grands de l’empire est la source de ces scandales inouis… dont la capitale et les provinces offrent chaque jour l’affligeant spectacle. Le fonctionnaire, pour réparer les brèches faites à ses revenus ou quand il se voit harcelé par son sarraf[2] pressure ses administrés, ou trafique honteusement des emplois et des faveurs dont il peut disposer. Lorsque les malversations sont devenues pour ainsi dire générales, la Porte s’en émeut ; mais, au lieu de déférer les coupables aux tribunaux, elle se contente ordinairement de lancer une ordonnance qui rappelle et remet en vigueur les anciennes ordonnances, ou bien de convoquer à Constantinople les gouverneurs et defterdars de province ; là, réunis en présence du sultan, ils prêtent l’un après l’autre sur le Coran et les reliques sacrées le serment vingt fois prêté et vingt fois violé d’en observer fidèlement les prescriptions et d’exécuter les nouvelles ordonnances. La peur des fonctionnaires se dissipe bientôt, la surveillance du gouvernement se relâche, et tout rentre dans les anciens désordres[3]. »

Le code de commerce de 1850 est-il plus heureux que le code administratif et que le code pénal ? est-il exécuté ? et comment l’est-il ? On a fait grand bruit de l’établissement des tribunaux mixtes. C’était, disait-on, une garantie accordée aux commerçans étrangers. « Ces tribunaux mixtes, dit M. Viquesnel, semblaient devoir mettre fin à des abus nombreux et invétérés. On doit reconnaître que jusqu’à présent leur institution est loin d’avoir rempli l’attente des puissances étrangères qui en ont réclamé la mise en pratique. Parmi les causes qui ont jeté de la défaveur sur les jugemens rendus par les tribunaux mixtes de commerce, on peut citer, d’après M. le docteur Beyran[4], l’insuffisance du code spécial de 1850, et surtout le choix, malheureusement trop fréquent, de notables indigènes accessibles à la corruption, et nommés par les ministres qui se sont succédé au département du commerce[5]. »

M. Viquesnel ne reconnaît jusqu’ici aux tribunaux mixtes qu’un

  1. La Turquie et ses différens peuples, page 233.
  2. Banquier arménien.
  3. Voyage en Turquie, page 25S.
  4. Notice sur la Turquie.
  5. Voyage en Turquie, page 214.