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quante jours sans recevoir un seul convoi de l’extérieur. Ce n’est qu’au bout d’environ six semaines que Vercingétorix se décide à expulser les bouches inutiles. Assurément nous croyons à sa prévoyance, et nous avons admis sans hésitation qu’il avait d’avance choisi, fortifié et approvisionné la place d’Alesia. Cependant est-il vraisemblable qu’il ait pu rassembler la quantité de blé nécessaire pour nourrir plus de 100 000 âmes pendant un si long laps de temps ?

S’il disposait de 80 000 combattans, on ne s’étonne pas moins du peu d’embarras qu’il causa à l’armée romaine. Celle-ci se composait, nous l’avons déjà dit, de 40 000 légionnaires environ. En comptant pour 10 000 les auxiliaires germains et ce qui pouvait rester de cavalerie gauloise et italienne, nous arrivons à un total de 50 000 hommes qui ont dû pendant six semaines tenir en échec les défenseurs d’Alesia, exécuter des travaux considérables, pourvoir à leur subsistance, et rassembler une réserve de trente jours de vivres.

Examinons d’abord la question des subsistances.

Lorsque plus tard devant Dyrrachium, au fort de la guerre civile, les vétérans de César étaient réduits aux dernières extrémités de la faim, ils se redisaient entre eux pour soutenir leur courage : a C’est comme devant Alesia ou devant Bourges ; mais alors la disette ne nous a pas empêchés de rester vainqueurs[1]. » L’armée romaine souffrit donc de grandes privations durant ce blocus ; mais enfin elle vécut, et au moment où finirent les opérations, elle était munie de vivres pour un mois. Or l’approvisionnement de la place avait dû absorber tout ce qu’il y avait de grains à ramasser à une assez grande distance. Jusqu’où auraient poussé les fourrageurs romains pour en trouver encore et en si grande quantité ? N’aurait-il pas fallu, pour assurer ce service, faire des détachemens considérables et de plusieurs jours ? N’est-il pas permis de croire, malgré le silence des Commentaires, que, tout en faisant battre au loin le pays par sa cavalerie, César trouva dans les tribus gauloises restées fidèles à Rome des ressources importantes en céréales et une précieuse assistance en moyens de transport ?

Quant à la partie militaire du problème que nous venons de poser, les récits de César nous fournissent les principaux élémens de la solution. Pour établir ses deux lignes et les autres ouvrages, il dut remuer environ deux millions de mètres cubes de terre. En estimant à six mètres cubes la quantité de terre qu’un homme pouvait déplacer

  1. « Meminerant ad Alesiam magnam se inopiam perpessos, multo etiam majorem ad Avaricum, maximarum gentium victores discessisse. » B. C., iii, 47.