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vaient bien condamner la politique agressive de César, flétrir ses cruautés ; mais pour le réfuter quand il racontait des actions de guerre, il eût fallu l’intervention de quelque témoin oculaire. Or ceux mêmes de ses lieutenans qui embrassèrent le parti contraire dans la guerre civile, Labiénus entre autres, étaient intéressés à ne pas diminuer la valeur d’un livre qui était pour eux aussi un monument de gloire.

Qu’y a-t-il donc d’étonnant à ce que César ait combiné son récit de manière à rehausser l’éclat de sa conquête, qu’il ait légèrement glissé sur quelques incidens moins bons à faire connaître, qu’il ait omis certains détails, qu’il en ait exagéré d’autres ? Le récit du siége d’Alesia surtout doit être lu avec précaution, car c’était la principale opération de la guerre, le coup de grâce donné aux Gaulois, le bouquet du feu d’artifice, si l’on peut parler ainsi, qui se tirait de l’autre côté des Alpes pour éblouir les citoyens de Rome. César devait être naturellement disposé à grossir les difficultés et l’importance, bien réelles pourtant, de ce fait d’armes. Les résultats qu’il obtint paraissaient incroyables, non-seulement à Napoléon et à quelques militaires des temps modernes, mais à ceux des Romains qui avaient le plus étudié et pratiqué leur tactique, « Les grandes choses qu’il a faites devant Alesia, s’écriait Velleius Paterculus, qui avait longtemps et bien fait la guerre, un homme oserait à peine les entreprendre ; un dieu seul put les accomplir[1]. » Si cette phrase ne sortait pas de la plume d’un panégyriste, on pourrait la prendre pour un trait d’ironie.

Même en réduisant de moitié la force que l’on prête à l’armée de Vercingétorix, en admettant que les Romains furent en partie nourris et assistés par les tribus qui leur étaient restées fidèles, et que la perfidie ou l’inaction des Éduens ait facilité le succès, on laisse encore à César une bien belle part de gloire. Concevoir un système entièrement nouveau d’ouvrages, le faire exécuter par ses troupes devant un ennemi bien retranché, bloquer avec 50 000 hommes une armée égale à la sienne, remporter le même jour deux victoires éclatantes, l’une devant, l’autre derrière soi, voilà certes plus qu’il n’en faut pour illustrer un homme de guerre. Nous nous permettrons de signaler particulièrement l’emploi que dans toute cette campagne il fit de sa cavalerie, parce que jusqu’alors les généraux romains, mettant avec raison leur confiance dans leurs admirables légions, mais tirant d’un principe juste des conséquences extrêmes, s’étaient presque exclusivement appliqués à diriger ou à combattre l’infanterie, et que leur peu d’aptitude à se servir de la cavalerie ou à repousser ses attaques avait été la cause de leurs plus cruels re-

  1. Hist. rom., xlvii.