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oubliée lorsqu’elle fut importée de nouveau en 1850 par M. de Montigny. Cette fois elle ne passa point inaperçue, tant s’en faut; elle fut soumise à une étude approfondie, à de très nombreux essais en France et en Algérie. M. Decaisne reconnut que cette dioscorée, différente non-seulement de l’igname des Indes (dioscorea alata), mais encore de l’espèce connue sous le nom d’igname du Japon (dioscorea japonica), devait recevoir une dénomination distincte; il lui donna le nom de dioscorea batatas.

Avant l’année dernière, on ne possédait que des individus mâles; aussi ne put-on observer qu’à cette époque en France et en Algérie les organes de la floraison et de la fructification de l’igname, dessinés et décrits par MM. Decaisne et Duchartre. L’igname de Chine est douée de nombreux moyens de reproduction : ses graines, ses petits tubercules arrondis qui se développent à l’aisselle des feuilles, ses longs rhizomes coupés par courts tronçons, ses tiges grêles, couchées sur la terre, légèrement recouvertes ou même divisées en très minces fragmens, portant chacun seulement une feuille, peuvent s’enraciner aisément dans un terrain léger. C’est en employant ces divers procédés que l’un de nos plus habiles multiplicateurs des plantes nouvelles, M. Paillet, est parvenu, ainsi que M. Vilmorin, à livrer par milliers les plants destinés à propager cette culture. MM. Pépin, Rémond de Versailles, Bourgeois, Becquerel, Courtois-Gérard, etc., ont soigneusement étudié les phases diverses du développement de l’igname. Dans plusieurs de nos expositions horticoles, on a remarqué de magnifiques rhizomes tuberculeux de ce végétal, venus dans des circonstances variées de sol et de température depuis Strasbourg et Bordeaux jusqu’à la frontière d’Espagne. Au milieu de tous ces essais de grande, de moyenne et petite culture, un fait général, important, je dirais presque grave, a surgi : on a constaté la tendance énergique des rhizomes souterrains à s’enfoncer verticalement et profondément dans le sol, se défendant ainsi, il est vrai, des atteintes de la gelée, mais opposant par-là même un obstacle sérieux jusqu’ici à tout moyen économique d’arrachage. Les frais en grand de cette extraction pourraient atteindre et même dépasser, en certaines localités où la main-d’œuvre est rare, la valeur de la récolte. La tendance du rhizome féculent à la pénétration verticale dans le sol est telle que, si un corps dur, impénétrable, se rencontre sur le passage du rhizome, celui-ci se contourne ou s’insinue dans une fissure, ou enfin, si tout passage est complètement intercepté, il s’aplatit, s’étend et se bifurque, formant parfois une sorte de tubercule digité. Dans ce cas encore, le rhizome garde sa composition féculente et sa qualité nutritive[1].

  1. Les études faites sur la composition des rhizomes tuberculeux de l’igname de diverses origines par MM. Boussingault et Frémy, comme par nous-même, ont donné des résultats concordans, qui prouvent que l’igname est aussi nutritive que la pomme de terre; elle se prête aux mêmes préparations alimentaires.