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sation morale des États-Unis, jadis si simple et si forte, s’énerve et languit, et les faibles germes de culture intellectuelle qui commençaient à verdir se dessèchent et meurent. La brutalité envahit tout et se mêle à tout, même à la cause de la justice et de la vérité. Ce n’est point une exagération : même dans les rangs du parti qui, malgré toutes ses fautes, défend encore la cause du droit, ce n’est ni l’éloquence, ni le talent, ni l’élévation d’esprit, c’est le grossier pamphlet qui règne et gouverne. Jamais peut-être on n’avait vu défendre la vérité par de telles armes et dans un pareil langage. La littérature oratoire, qui jusqu’à nos jours a composé en grande partie la littérature des États-Unis, décline sous ces influences désastreuses; le congrès a perdu et n’a pas retrouvé les anciens triomphes d’Henri Clay, de Daniel Webster et de John Calhoun, et les discours des meetings populaires, des fêtes nationales, des chaires religieuses, ne sont plus ce qu’ils étaient. Quant à la littérature proprement dite, elle s’abaisse de plus en plus au niveau des foules; elle se conforme à leur grossièreté et à leurs préjugés, elle parle leur langage. Jadis on pouvait reprocher aux écrivains américains d’avoir les yeux trop constamment tournés vers l’Europe; les écrivains nouveaux méritent beaucoup moins ce reproche, mais ils n’ont pas gagné pour cela en originalité et en élévation. L’imitation de Godwin, de Walter Scott et des prosateurs anglais du dernier siècle nous a donné Brockden Brown, Fenimore Cooper et Washington Irving; la peinture des mœurs domestiques de l’Amérique nous a valu M. Cornélius Mathews, mistress Stowe, miss Warner, miss Cummins, miss Sedgewick et mistress Fanny Fern. En devenant plus vulgaires, les écrivains ne sont devenus ni plus féconds, ni plus intéressans. Dès leur première œuvre, ils ont épuisé le mince bagage d’observations et de pensées qu’ils avaient accumulé à grand’peine, à ce qu’il semble, et qu’ils ont cependant dépensé en un jour. La première œuvre est généralement intéressante, aussi incomplète qu’elle soit, parce qu’elle lève le rideau sur quelque coin particulier des mœurs américaines; la seconde œuvre reproduit la première avec une monotonie désespérante. Dred continue ou plutôt recommence l’Oncle Tom ; mais la chaleur, l’éloquence, la spontanéité du premier roman de Mme Stowe ne se retrouvent pas dans le second. Malgré les homélies et les sermons dont ils étaient remplis, le Large, large Monde et l’Allumeur de Réverbères nous avaient intéressé; nous avons négligé volontairement de parler des nouvelles œuvres de miss Cummins et de miss Warner, qui ne tranchent en rien sur les précédentes, si ce n’est par une plus large dose d’ennui, un emploi plus rebutant du jargon de sectaire. La petite école des traascendantalistes du Massachusetts, qui composait