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trop prompte et son esprit trop crédule. M. Brownson, il faut le reconnaître, a des instincts réellement religieux. Quoiqu’il fût laissé sans direction morale, ces instincts parlèrent en lui dès le premier éveil de l’intelligence. Il se fit à lui-même une éducation religieuse; mais cette éducation fut tout abstraite, et n’eut aucune racine dans la vie du cœur. Quoi d’étonnant s’il sentit bientôt toute l’insuffisance des doctrines qu’il avait librement choisies? Elles n’avaient pour lui qu’une valeur métaphysique. Ce qui nous étonne, c’est qu’il n’ait pas parcouru la série entière des sectes innombrables qui se partagent l’Union.

A l’âge de six ans, ses parens l’envoyèrent, pour des motifs inexpliqués, passer son enfance en compagnie d’un vieux ménage de paysans. « C’étaient d’honnêtes gens, loyaux, d’une stricte moralité, qui auraient préféré qu’on leur fît tort plutôt que de faire tort à qui que ce soit, mais qui n’avaient aucune religion particulière, et qui allaient rarement aux réunions religieuses. » Bref, cet honnête couple représentait la pure morale naturelle. M. Brownson eut donc à faire lui-même son éducation religieuse : très grande infortune, et qui a pesé sur toute sa vie. « A proprement parler, je n’eus pas d’enfance, et j’ai aujourd’hui beaucoup plus des sentimens de l’enfant qu’à l’âge de huit et dix ans. Élevé avec de vieilles gens, privé de tous les jeux et de tous les amusemens des enfans, j’eus les manières, le ton et les goûts d’un vieillard avant d’être un adolescent. Ce fut une circonstance funeste, car les enfans se forment mutuellement, et devraient pouvoir rester enfans aussi longtemps que possible. L’enfance et la jeunesse sont de trop courte durée parmi nous, ce dont souffrent les mœurs et les manières de notre pays. » Il lisait beaucoup ; mais quels livres pour un enfant ! Des volumes dépareillés de romans dévots, des cantiques protestans, des élucubrations de théologie calviniste. Cependant, malgré cette enfance comprimée et ces lectures arides, la nature refusait de se laisser vaincre et étouffer, et ses jeunes ardeurs religieuses prenaient plutôt la forme du rêve que celle de la méditation. Comme toutes les premières émotions, elles eurent un caractère instinctif, animé, mystique.


« La simple histoire de la passion de Notre-Seigneur, telle qu’elle est racontée dans les Évangiles, m’affectait profondément. Je rêvais avec bonheur au mystère de la rédemption, et mon jeune cœur brûlait souvent d’amour pour notre divin maître, qui avait été assez bon pour venir dans le monde et se soumettre à la plus cruelle des morts, afin de nous arracher à la domination du péché et nous donner le bonheur dans le ciel. Souvent il m’arrivait de penser à lui pendant le jour ou pendant la nuit. Quelquefois il me semblait que je tenais avec lui de longues et familières conversations, et je