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qui les premiers invoquaient la charte et en développaient les théories. Ils s’en servaient, il est vrai, contre le roi lui-même, afin de s’imposer, et sans un grand amour pour ce régime de libérale discussion ; ils ne contribuaient pas moins à naturaliser, à développer les habitudes parlementaires. C’était M. de Vitrolles qui, faisant appel à l’exemple de l’Angleterre, cherchait, dès 1816, à démontrer la nécessité de faire du ministère une institution, en d’autres termes d’avoir un cabinet homogène, animé d’un même esprit politique, en intime et complète union avec les chambres. Et, comme le dit M. Guizot, il est assez curieux de retrouver cette idée chez le confident le plus particulier du comte d’Artois, du prince qui devait être Charles X. Plus tard encore, c’était M. de Villèle, arrivé au pouvoir, qui disciplinait le parti royaliste en le contenant pendant quelques années avec autant de prudence que de finesse. Cela veut dire que bon nombre de royalistes tout au moins pouvaient vivre en paix avec la charte, ne fût-ce que diplomatiquement, de même que beaucoup de libéraux, comme M. Guizot, ne nourrissaient assurément aucune pensée ennemie contre la maison de Bourbon, et que, sauf des dissidences naturelles, légitimes, il aurait pu, il aurait dû y avoir entre ces deux grandes fractions de l’opinion une alliance supérieure qui eût été la garantie victorieuse des institutions. Malheureusement jusqu’ici, dans l’histoire des partis, ce n’est pas l’esprit de modération et de prévoyance qui triomphe, et tandis que dans le sein du pays il y avait une masse libérale, constitutionnelle, disposée à identifier le régime nouveau avec la vieille dynastie, les partis réguliers avaient déjà leurs extrêmes, leurs sectaires, — ceux-ci, moins libéraux qu’ils ne le paraissaient, poursuivant la dynastie d’une haine implacable au nom de souvenirs qui n’avaient pourtant rien de commun avec la liberté, ceux-là se servant de cette hostilité même pour se mettre au-dessus de la charte, et conservant toujours une arrière-pensée de coup d’état. Une fatalité heureuse avait fait de la maison de Bourbon la restauratrice d’un régime de libertés légales : la fatalité des passions extrêmes fut la corruptrice de cette situation, et, le jour où la lutte s’engagea, les partis modérés ne pouvaient plus rien. M. Guizot rapporte qu’un jour, peu avant juillet 1830, M. Pozzo di Borgo, reçu par Charles X, le trouva lisant et relisant la charte, interrogeant avec scrupule le sens de ce fatal article 14, spectacle étrange que celui de ce vieux roi cherchant dans la charte même de quoi rassurer ou endormir une conscience étroite et peu clairvoyante, encore émue par la religion du serment ! C’est ainsi que M. Guizot fait pénétrer dans ce monde évanoui qu’il a connu, remettant en lumière des figures comme celles de M. de Richelieu, de M. de Serre, de M. de Montesquieu, de M. Royer-Collard, évoquant tous les souvenirs d’une époque qui a eu plus d’éclat que de durée.

Et tandis que des esprits élevés cherchent dans l’histoire le secret des destinées publiques, tandis que d’autres interrogent avec sévérité le travail mystérieux des idées, ou bien étudient l’âme humaine dans ses affections et ses instincts, voici un esprit violent, puéril, qui passe en dévastateur, et ne s’en cache pas, à travers toutes ces régions de la vie morale et intellectuelle. La justice est intervenue en évoquant devant elle le livre nouveau que M. Proudhon vient de publier sous le titre de la Justice dans la Révolution et dans l’Église. Nous n’avons plus à juger cette œuvre d’une dissol-