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miques qui les séparait de ces états du nord avec lesquels on prétendait les unir. Le but auquel tendait Hamilton leur était odieux ; les moyens par lesquels il se proposait de l’atteindre leur semblaient profondément iniques. Ils étaient agriculteurs, riches en terre, mais pauvres en capitaux. Toujours pressés d’argent, ils avaient été contraints de se défaire à vil prix de leurs titres contre le trésor. C’étaient les porteurs de ces titres, des spéculateurs sans moralité, qui allaient s’enrichir de tout ce que les créanciers primitifs avaient perdu, et ces spéculateurs appartenaient presque tous aux états commerçans du nord. Ce serait donc au profit du nord que s’opérerait la consolidation de la dette fédérale ; ce serait également à son profit que s’établirait l’union financière entre les divers états, car c’était le nord qui avait le plus souffert de la guerre, c’était le nord qui avait le plus de dettes à mettre à la charge du trésor commun. Le sud avait assez des siennes… Tels étaient les sentimens des populations méridionales. Madison chercha vainement à les atténuer en s’en faisant l’écho. Toute la courtoisie de son langage ne put dissimuler ce qu’il y avait d’aigreur dans son argumentation. Les représentans de la Nouvelle-Angleterre s’irritèrent et firent entendre des menaces. Si l’on voulait la banqueroute, plutôt que de s’associer à un tel déshonneur, ils se retireraient du congrès ; si l’on repoussait l’union financière, ils briseraient l’union politique… On put croire et Jefferson crut un instant qu’il n’y avait dans leurs paroles aucune exagération oratoire. À la prière de Hamilton, il consentit à intervenir entre les combattans. Leurs chefs étaient au fond assez inquiets des extrémités auxquelles ils en étaient venus. Tout en se gardant profondément rancune, ils sentaient la nécessité de recourir à l’une de ces transactions auxquelles aboutissent presque toujours les querelles politiques dans ce pays, où, depuis qu’il existe, on se menace de les vider l’épée à la main. Par une singulière bonne fortune, le bill financier n’était pas le seul qui divisât le congrès en sections géographiques. Deux points étaient à la fois en litige entre le nord et le midi, ce qui devait rendre plus facile un échange de concessions et de compensations. La résidence du gouvernement des États-Unis était à choisir. Placerait-on la cité fédérale sur les bords de l’Hudson, sur ceux de la Delaware ou sur ceux du Potomac, — au sein des états libres et commerçans, ou au sein des états agricoles et à esclaves ? Depuis près d’un an que le sujet était à l’ordre du jour, les députés du New-York, de la Pensylvanie et de la Virginie faisaient valoir avec véhémence les prétentions opposées de leurs états respectifs sans pouvoir se vaincre. Promettre gain de cause à la Virginie sur la question de la résidence, si elle promettait de céder sur la question financière, telle fut la base du compromis que Jef-