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les pièces de la procédure ne puissent pas retomber entre les mains des intrigans qui en ont fait un si odieux usage, et pourtant Monroë rentre en rapports avec ces misérables. À leur suggestion, il en vient à penser que Hamilton ne s’est peut-être accusé de galanterie que pour échapper à l’accusation de péculat, et il consigne ses suppositions dans un nouveau mémoire, qu’il joint aux autres pièces confiées à sa garde. Avant de partir pour la France, où il allait représenter son pays, il laissa ce dangereux dossier entre les mains « d’un respectable ami virginien » qui, sans doute trop absorbé dans la politique, veilla mal sur le dépôt. En 1797, toute la collection parut dans un venimeux annuaire publié par Callender, cynique écrivain dont le métier était alors de vilipender les honnêtes gens qui se trouvaient en mauvais termes avec Jefferson. Sommé de déclarer s’il croyait fondées les imputations contenues dans son dernier mémoire, Monroë refusa obstinément de s’expliquer : il ne pouvait, disait-il, se faire un avis sur la question avant d’avoir entendu la défense de Hamilton. En vain le colonel fit appel à sa loyauté, en vain il lui adressa les plus offensans reproches sur son indélicatesse : Monroë resta impassible, et tout en se disant prêt à terminer la querelle par un combat singulier, si Hamilton voulait bien le provoquer directement, il se montra décidé à ne pas prendre l’initiative d’un duel qui pourrait à trop bon marché tirer son adversaire d’embarras. Hamilton se trouvait ainsi placé dans la cruelle alternative de prouver publiquement son adultère, ou de rester convaincu de concussion, — de blesser toutes les bienséances, ou de sacrifier son renom de probité. Malgré la légèreté de sa conduite, il aimait tendrement Mme Hamilton, et il lui répugnait de la faire entrer dans la confidence de ses secrètes amours. Il n’hésita point cependant : il préféra pour lui-même et pour les siens le scandale au déshonneur, et l’on ne peut, sans garder rancune à Monroë, lire cette douloureuse confession arrachée à un noble cœur par l’implacable et basse malice d’un adversaire politique. « L’aveu d’une telle faute n’est point fait sans en rougir. Je ne me ferai jamais l’apologiste d’un vice, quel qu’il soit, parce que l’ardeur de la passion aura pu m’y entraîner : je ne cesserai jamais de me reprocher le coup que je vais porter à un cœur digne de ma reconnaissance, de ma fidélité et de mon amour ; mais ce cœur approuvera que, même à un tel prix, j’efface une tache plus déshonorante imprimée sur un nom qu’il chérit avec autant d’élévation que de tendresse. Le public aussi me pardonnera, je l’espère, une pareille confession. Elle est nécessaire pour me défendre contre une plus odieuse accusation, sans quoi je n’aurais pu me résigner à une aussi pénible inconvenance. »