Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/383

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faits et de recueillir des particularités fort curieuses, surtout en ce qui concerne la personne de lord Raglan, dont il nous cite, à diverses reprises, les idées et les appréciations. Son livre est extrêmement partial, mais cette partialité même a pour nous son mérite : elle nous révèle la physionomie de l’armée anglaise, avec ses préjugés, ses passions, sa haine des Russes, sa jalousie des Français. Pour en donner l’idée en deux mots, nous dirons qu’à la bataille d’Inkerman le major Calthorpe attribue la retraite des Russes au feu de deux pièces de gros calibre amenées de la tranchée par les ordres de lord Raglan, et qu’en revanche il intitule la partie de son récit relative à l’arrivée du général Bosquet : « Panique des troupes françaises.»

Du côté des Russes, nous avons l’ouvrage du capitaine Anitschkof[1], description purement technique des opérations de l’armée russe. L’auteur ne s’y permet ni critiques, ni réflexions; mais son récit clair et méthodique laisse deviner, sous une forme respectueuse pour ses chefs, les fautes qu’ils ont commises pendant le cours de la guerre. Nous y trouvons de plus des états de situation qui doivent généralement être exacts, car les Russes, préoccupés plus que jamais des jugemens de l’Occident, ont affecté cette fois dans leurs publications militaires une extrême sincérité. Il est à remarquer que, pendant toute la durée de cette guerre, ils ont accusé, après chaque affaire, des pertes plus considérables que celles des alliés, même pour l’assaut du 18 juin.

Ces relations permettent de se former une idée nette de la bataille d’Inkerman. La vérité ressort de ces pages, écrites à des points de vue si différens. Il devient évident que lord Raglan, dans son bulletin, ne dit pas tout : la lutte eut ses alternatives de succès et de revers. Les Anglais finirent par céder : au moment où ils allaient se voir arracher la victoire, les Français vinrent rétablir la fortune du combat; mais, reconnaissons-le, ce fut la résistance désespérée des Anglais qui donna aux Français le temps d’arriver sur le terrain au moment décisif. Cette résistance fait le plus grand honneur aux vaillans soldats de l’armée anglaise. Aussi croyons-nous, en disant simplement la vérité, leur rendre une plus éclatante justice qu’en adoptant la version fabuleuse du bulletin de leur général. Nous nous sommes donc borné à fondre les deux relations du major Calthorpe et du capitaine Anitschkof en une seule; nous avons demandé à chacun de ces officiers les dispositions et les mouvemens de l’armée à laquelle il appartenait. Ces dispositions et ces mouvemens trouvant presque toujours leur contre-partie dans ceux de l’armée adverse,

  1. Der Feldzug m der Krimm, bearbeitet von Anitschkof, Hauptmann un Kaiserlich Russischen General Stabe, Berlin 1857.