Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’eût annoncé sa présence par des aboiemens qui retentirent dans toute la maison. Alors parut sous le péristyle une duègne à l’œil sévère qui lui fit signe d’avancer. L’enfant, un peu effrayé, fit un pas en avant et ôta poliment sa casquette de laine. Les lévriers s’étaient levés, et à la porte de l’écurie se montraient les muletiers, le chapeau pointu fortement incliné sur le front, et rallumant la cigarette de papier déposée derrière leur oreille.

— Qui est là ? demanda une voix qui sortait du salon ; quelque mendiant sans doute, puisque Cordero a aboyé.

— Señora marquesa, répondit la duègne, c’est un enfant qui a tout l’air d’un petit vagabond.

— Que demande-t-il ? L’aumône, un morceau de pain ?

— Il n’a rien demandé encore, señora. Je ne sais pas ce qu’il veut, mais à coup sûr ce n’est pas là un gitano.

La marquesa se leva. Suivie de Cordero, qui aboyait et grognait alternativement, elle s’approcha du petit mousse et le regarda avec curiosité. Après quelques secondes de réflexion : — J’y suis, dit-elle à demi-voix, c’est un Anglais… Quel dommage que j’aie oublié cette langue, moi qui lisais autrefois Rasselas si couramment ! — You,… y ou,… Ingles ?…

Yes, ma’am, répliqua l’enfant avec un sourire involontaire. Et il fit signe qu’il éprouvait le besoin de faire un solide déjeuner.

— Je l’avais deviné, s’écria la marquesa en se tournant vers les serviteurs, qui admiraient son habileté à parler une langue aussi baroque que l’anglais. Ce pauvre enfant aura déserté son navire, parce qu’on le maltraitait : il a l’air de mourir de faim ! Holà ! Melitona. sers-lui quelque chose à manger…… Bread, hiijos, wine, tocino, tu entends, mon enfant, on va te donner tout cela… Comment t’appelle-t-on ?… What’s your name ?

— Bill, repartit l’enfant.

— Bien, fit la marquesa ; Bill pour William ; nous disons nous autres Guillermo ; chaque pays, chaque mode. Viens déjeuner, viens… Pobrecito ! il a l’air tout à fait gentil.

La vieille Melitona se fût bien passée du surcroît de besogne que lui causait l’arrivée imprévue du petit Anglais. L’enfant avait grand besoin d’être lavé, et sur l’ordre que lui intima sa maîtresse, la Melitona, impatiente et irritée, se mit à le frotter, à le savonner tant et si bien qu’il sortit de ses mains luisant et poli comme une casserole de cuivre rouge. La marquesa eut presque envie de l’embrasser et de passer sa main dans les boucles de ses cheveux blonds ; mais les vêtemens du mousse étaient imprégnés d’une odeur de goudron et de fumée à peine supportable au grand air, sur le pont d’un navire. Elle se contenta de l’admirer, tandis qu’il dévorait avec un