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pris, accueilli, choyé, pour qu’il restât à mes côtés et me tînt éternellement compagnie ! Croyez-vous, don Cajetano, que je mène ici une vie bien joyeuse, et que les distractions abondent dans ces campagnes ?

— Pardon, señora, reprit tristement le religieux ; j’avais cru que vous aimiez sincèrement cet enfant…

— Tout le monde semble se donner le mot pour me tourmenter à l’occasion de Guillermo ! s’écria la marquesa. Ah ! qu’on a de mal à faire le bien ici-bas !… Je ramasse dans la poussière un pauvre petit qui n’a plus ni famille ni patrie, je l’élève jusqu’à moi, je lui donne tout ce qu’on peut rêver ici-bas, et vous, un religieux, un homme de Dieu, vous me demandez si je l’aime !… Les gens du monde, les vaniteux sont venus me demander aussi pourquoi je l’aime !… À qui entendre, à qui répondre ?…

— Señora, je retire toute question qui peut vous blesser, j’avais cru aller au-devant de vos vœux en vous montrant tout l’intérêt que m’inspire votre protégé.

En achevant ces paroles, don Cajetano salua la marquise et s’éloigna à pas lents. Il remonta dans la chambre haute, où travaillait son élève. Le jeune homme, appuyé sur la fenêtre, regardait l’horizon ; des larmes brillaient dans ses yeux. Don Cajetano lui prit doucement la main. — Qu’avez-vous, mon enfant ? lui demanda-t-il.

— Rien, répliqua Guillermo ; je regarde les oiseaux qui volent sur le ciel. Oh ! si j’avais des ailes !

— Si vous aviez des ailes, vous quitteriez ce nid tranquille où une tendre affection veille sur vous ? — Guillermo ne répondit pas ; le religieux continua : — Modérer les désirs du cœur et calmer les élans de l’imagination, telle est la première condition du bonheur ici-bas !

— Faut-il donc renoncer à être, à faire quelque chose, à savoir, à connaître ? s’écria brusquement le jeune homme. Faut-il donc vivre éternellement dans l’obscurité ?

— C’est le sort du plus grand nombre ; n’est-il pas sage de savoir s’y résigner à tout hasard ?

Le religieux ne s’exprimait point ainsi sans se faire violence à lui-même. Il lui en coûtait de comprimer les aspirations d’un jeune cœur qui commençait à s’épanouir ; mais il voulait prévenir les luttes qui eussent infailliblement troublé l’existence des habitans de ce toit hospitalier, sous lequel il avait lui-même rencontré un asile. Il ne lui paraissait pas impossible qu’un jeune homme au caractère doux et mélancolique pût se plier au joug d’une vie simple, régulière jusqu’à la monotonie, et coulant avec le calme d’un ruisseau qui serpente sans bruit et à demi caché sous les roseaux. D’un autre côté,