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Doña Barbara et sa fille n’échangèrent pas une parole pendant leur retour au Puerto-Santa-Maria. La jeune fille semblait fort occupée à regarder les horizons et à étudier le jeu de la lumière à travers les oliviers plantés sur les coteaux. Sa mère ne prenait nul souci de la nature et du paysage, mais elle cherchait à s’expliquer le caractère étrange du jeune homme qu’elle venait de faire poser devant elle. Habituée à vivre dans le monde et à ne rencontrer guère que des gens jetés dans le même moule, elle avait horreur de l’originalité. Guillermo était original, et de plus le ridicule s’attachait à sa personne. C’était à tort peut-être, mais enfin il en était ainsi… Quel dommage ! avec la fortune que lui assurerait sans doute la marquesa, il eût été pour sa fille un si bon parti… Après tout, sa mère adoptive lui donnerait-elle son nom ? Elle n’en avait rien dit à personne, et elle n’y avait peut-être pas encore pensé.

Ainsi raisonnait doña Barbara, et la nuit se répandait peu à peu autour d’elle ; les étoiles commençaient à briller sur le bleu foncé du ciel. Tout à coup, au moment où la ville du Puerto dessina sa silhouette brune à travers le firmament, la lune se leva du côté de la mer, reflétant au milieu des vagues légèrement agitées son disque d’argent.

— Ma mère, ma mère ! s’écria Leocadia, voyez donc comme c’est poétique ! quel joli dessin on ferait de cela !

— C’est charmant ! répondit doña Barbara, et elle fixa ses regards étonnés sur le visage gracieux de sa fille, qui semblait rêver en contemplant avec une attention inaccoutumée le ciel, la terre et les eaux, illuminés d’une suave et limpide clarté.


V.

Précisément à la même heure Guillermo errait seul dans les allées du jardin, encore ému des incidens de la journée. Assis sur la margelle du puits, Andrès fredonnait, en s’accompagnant sur la guitare, cet air charmant bien connu à Séville, et qui commence par ces mots : Al Puerto, señores… Le vieux cavalier était en verve ; ses ritournelles interminables résonnaient après chaque couplet avec tant d’énergie que les cordes de l’instrument se rompirent. Alors, s’adressant à Guillermo, qui passait et repassait près de lui : — Marquesito, oh ! marquesito ! dit-il à demi-voix. Le marquesito s’arrêta.

— N’est-ce pas qu’elle est jolie ? continua Andrès ; ah ! que arrogante moza !….. Il n’y a pourtant qu’en Andalousie qu’on en voit comme ça ! Au Pérou, il y a de petites femmes très avenantes et vives comme du salpêtre ; au Chili, elles sont gracieuses, douces, un peu blondes. Mais enfin, marquesito ?…