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Eh ! mon enfant, répondait la marquise, la vie est heureuse pour toi, tu n’en connais que les douceurs !… J’ai tout sacrifié pour éloigner de toi les amertumes et les épreuves dont tant d’autres ont à souffrir !

À ces paroles, prononcées avec une secrète satisfaction de soi-même, Guillermo ne répondait que par un soupir accompagné de quelques expressions de reconnaissance. Toute explication se trouvait ajournée, et les mois se succédaient sans apporter le moindre changement à sa situation. Pendant l’hiver, la marquise, assise dans son salon, les pieds sur le brasero, se repliait sur elle-même dans l’attitude d’un chat somnolent. Dans les jours brûlans de l’été, — et cette saison dure longtemps en Andalousie, — elle s’abandonnait à une nonchalance langoureuse ; une seule pensée l’absorbait, — se défendre contre les atteintes du soleil. Il se faisait alors un tel silence dans la maison rustique, dont les portes et les fenêtres demeuraient fermées jusqu’à la nuit, que l’on entendait frémir les ailes du plus petit moucheron bourdonnant dans l’air.

Par une de ces chaudes journées, Andrès, qui avait jadis bravé les feux du tropique, revenait du Puerto-Santa-Maria. Il était allé chercher des remèdes pour une mule malade. À son retour, il monta tout droit à la chambre de don Guillermo, qu’il trouva occupé à lire.

Marquesito, lui dit-il, voici un papier que l’on m’a remis. Don Guillermo prit le papier ; il était de couleur jaune et portait ces mots imprimés en gros caractères : Programa de la funcion de aficionados. Au-dessus du texte, on voyait l’image d’un taureau furieux qui s’élance dans l’arène tête baissée, en battant l’air de sa longue queue. Parmi les épées figurait le nom de don Mariano…

— C’est pour dimanche ! remarqua Andrès. En ce cas, la course ne peut manquer d’être brillante ; bien qu’il n’y ait à courir que des novillos, je réponds qu’avec un soleil aussi vif, les jeunes bêtes auront de l’entrain.

— Mariano !… Mariano ! répétait le jeune homme.

— Oui, il tiendra l’épée ; c’est le frère de doña Leocadia, un hardi cavalier… Irons-nous, marquesito ?

Don Guillermo répondit : — Nous verrons !…

Lorsque Andrès fut parti, il prit l’épée suspendue à son chevet et traça sur un des côtés de la garde la devise des aventuriers catalans : Hierro, despierla te ! Sur l’autre il écrivit : El de la Rollona.

Le jour de la course, Andrès rôdait dans la cour, tenant sous son bras sa veste du dimanche, qui portait un grand pot à fleurs brodé dans le dos ; le soleil faisait reluire les boutons plats et ciselés des bottes andalouses qui s’entr’ouvraient au-dessus de ses mollets. Don Guillermo, vêtu de la même manière, parut sur le seuil. À sa