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commencé sous de gracieux auspices, il a pourtant une fin malheureuse. Ce second dénoûment, moins bien justifié que le premier, vient un peu pour les besoins de la cause. C’est l’unique reproche de composition que je doive adresser à Mme Émilie Carlen, dont la manière est essentiellement sobre et mesurée. On pourrait encore lui demander plus de vivacité, car, bien que la forme possède toute la légèreté que permet la gravité germanique, ce n’est certainement pas une œuvre qui ait le diable au corps ; peut-être ne s’en porte-t-elle que mieux. L’auteur a visiblement suivi le procédé adopté par Goethe dans ses Affinités électives, où les personnages, désignés presque uniquement par leurs titres sociaux, passent à l’état de perpétuelles abstractions. Ce procédé, dont l’usage général aurait dans le roman de graves inconvéniens, constitue en réalité une assez sûre pierre de touche. Si les personnages se tirent sains et saufs d’une pareille épreuve, l’idée qu’ils représentent est à la fois bonne et bien conduite. Je ne puis juger du style de Mme Emilie Carlen, mais je dois louer la traduction due à Mlle Marie Souvestre, qui a fait preuve dans ce travail de beaucoup de finesse et d’habileté : une partie de ces qualités doit être rapportée évidemment à l’original.

Voilà cependant les fleurs les plus saines de notre récolte printanière ; nous retombons ensuite dans un milieu impossible à décrire, milieu d’horreurs et d’extravagances, où les auteurs, désespérant de donner à leurs œuvres un intérêt moral dont ils ont laissé s’altérer la formule, cherchent à remédier à leur impuissance par la bizarrerie de l’action, le chatoiement et les singularités du style ; encore les illustres seuls arrivent-ils à cette triste originalité ! Aussi bien quittons-nous la série des femmes honnêtes ; il s’agit maintenant des autres. Les perfidies et les roueries de ces nouvelles héroïnes sont pour nous d’un très médiocre intérêt : point n’est besoin pour les exposer d’un long volume. Ce sont des situations qu’un mot suffit à décrire, et tel crayon de Gavarni en dit plus long à ce sujet que trente volumes in-octavo. Cependant je ne leur refuse pas absolument droit de cité, s’il m’est permis, après lecture, de faire abstraction de leur position équivoque et de retrouver dans mon esprit l’empreinte d’un caractère bien étudié. Je ne vois donc de salut pour ces sortes d’œuvres que dans l’analyse morale, dans la logique de la conception. Si l’auteur se contente de faire passer devant mes yeux une série de simples faits, une suite de tableaux repoussans, si chacun de ses personnages ne m’explique pas sa conduite et ne justifie pas, pour ainsi dire, le dégoût qu’il m’inspire, je ne puis évidemment me contenter de son orgueilleux je suis celui qui suis, et je lui refuse précisément le droit d’être, s’il ne me donne pas la clé de son existence. Tel est l’effet produit sur moi par la Pénélope normande de M. Alphonse Karr et par la Vieille Maîtresse de M. Barbey d’Aurevilly. Ce n’est pas que l’ouvrage de M. Karr ne renferme quelques observations d’un véritable esprit et d’un véritable bon sens ; mais de bonnes qualités mal employées ne forment jamais que des circonstances aggravantes. Quant au roman de M. Barbey, qui passa justement inaperçu à sa première apparition, il s’est fait autour de lui un certain bruit, grâce à je ne sais quel rôle critique pris par l’auteur. En réimprimant ce livre, le moraliste catholique n’a certainement pas prêché d’exemple. Le sujet choisi prêtait cependant à l’analyse : c’était le repentir