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confitures de mûres sauvages ; laissez-moi en goûter un peu, après ça j’aurai la force de vous servir.

M. Goefle ouvrit lui-même le pot de confitures, et Nils s’assit sans façon à la place destinée à son maître, tandis que celui-ci chauffait ses pieds refroidis par le voyage à l’écurie. M. Goefle était aussi actif d’imagination que de paroles. Quand il n’avait plus occasion de causer, il travaillait dans son esprit ou partait joyeusement pour d’agréables rêveries, si bien qu’au bout d’un quart d’heure, la faim le tiraillant de nouveau, il se retourna pour voir si Ulph était enfin de retour avec quelque plat plus solide que les confitures ; mais il ne vit que le petit Nils profondément endormi, la tête sur la table et le nez dans son assiette.

— Allons, allons ! lui dit-il en le secouant. Tu as mangé, tu dormiras plus tard ! Songe à me servir ; va voir si Ulph…

Mais il était bien inutile à M. Goefle de formuler sa pensée. Accablé par l’impérieux sommeil de l’enfance, Nils était debout, les yeux hagards, et trébuchant comme un homme ivre. M. Goefle en eut pitié. — Allons, va te coucher, dit-il, puisque tu n’es bon à rien !

Nils s’en alla vers la chambre de garde, s’appuya contre la porte, et y resta, dormant debout. Il fallut le conduire à son lit. Là ce fut un autre embarras. Monsieur n’avait pas la force d’ôter ses guêtres. M. Goefle ôta les guêtres de son laquais, ce qui ne fut pas facile, les guêtres étant justes et les jambes amollies par le sommeil.

M. Goefle allait le hisser dans son lit lorsqu’il s’aperçut que le drôle s’y était fourré tout habillé. — Que le diable t’emporte ! lui dit-il ; t’ai-je fait faire d’avance ces beaux habits neufs pour coucher avec ? Allons, vite, debout, et prends la peine de te déshabiller, c’est bien le moins !

Nils, remis, bon gré, mal gré, sur ses pieds, fit d’inutiles tentatives pour se déboutonner. La tante Gertrude, charmée d’avoir un crédit ouvert pour le faire équiper en petit laquais avant de le présenter à son maître, lui avait fait faire des hauts-de-chausses de peau d’élan et une veste de drap rouge si bien coupés qu’il y était tassé comme dans une gaine, et que M. Goefle lui-même eut grand’peine à l’en faire sortir. Il lui fallut le prendre sur ses genoux devant la cheminée, car durant cette opération l’enfant grelottait. M. Goefle avait beau enrager et maudire Gertrude de lui avoir donné un pareil serviteur, l’humanité lui défendait de le laisser geler. Et puis Nils le désarmait par sa gentillesse. À chaque reproche de son maître, il répondait naïvement : — Vous verrez demain, monsieur Goefle, je vous servirai bien, et puis je vous aimerai bien !

— Ce sera toujours ça ! répondait le bon docteur en le bousculant