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que je trouve le baron encore plus désagréable qu’il ne m’avait semblé le premier jour.

— Mais vous allez rencontrer chez le baron,… si ce n’est déjà fait, quelque personnage moins fâcheux, à qui vous ouvrirez votre cœur, comme vous le faites en cet instant, et qui vous donnera l’espoir du bonheur et le courage de la résistance, bien mieux que ne sauraient le faire les conseils d’un vieux avocat !

— Non, monsieur Goefle, je n’ouvrirai mon cœur à personne qu’à vous, et je ne prendrai certainement aucune confiance dans les personnes que je pourrai rencontrer au château de Waldemora. Je vois très bien que le baron les a habilement choisies parmi des obligés ou des ambitieux qui le craignent ou le flattent, et tous ces gens-là, sauf quelques personnes excellentes qui ne me font pas la cour, se courbent devant moi comme si j’étais déjà la femme de leur patron ! Je ne sens que du mépris et de l’éloignement pour ces courtisans de province, tandis que j’ai foi en vous, monsieur Goefle ! Vous êtes l’homme d’affaires du baron, mais vous n’êtes pas son homme lige. Votre fierté et l’indépendance de votre caractère sont bien connues. Vous voyez ! ma tante n’avait pas réussi à me tromper. Elle me disait que vous approuviez toutes ses idées, et je pouvais m’attendre à trouver en vous un persécuteur plein d’ironie et de mépris pour mes rêves romanesques ; mais le frère de Mlle Potin, qui est gouverneur dans une famille de votre province, vous connaissait particulièrement. Vous savez bien, M. Jacques Potin, à qui vous avez rendu des services…

— Oui, oui, un charmant garçon !

— Charmant, non ! Il est bossu !

— Charmant au moral ! La bosse n’y fait rien.

— C’est vrai, c’est un homme distingué, qui nous a dit de vous tant de bien, que j’ai résolu de vous voir en cachette de ma tante. Mlle Potin, qui s’enquiert adroitement de toutes choses, a su le jour et l’heure auxquels vous étiez attendu au château neuf. Elle a guetté votre arrivée, elle a su que, trouvant trop de monde au château neuf, vous alliez prendre gîte au Stollborg. Elle m’a avertie du regard comme j’achevais ma toilette de bal sous les yeux de ma tante. Alors ma tante, ayant à s’habiller elle-même, ce qui prend toujours deux heures au moins, est passée dans son appartement. Mlle Potin est restée dans le mien, afin d’inventer des prétextes pour me dispenser de paraître devant la comtesse au cas où celle-ci me demanderait. Je me suis glissée par un escalier dérobé jusqu’au bord du lac, où Potin avait dit à mon fidèle Péterson de m’attendre avec le traîneau, et me voilà ! Mais, écoutez ! Il me semble que les fanfares du château neuf annoncent l’ouverture du bal. Il faut que je me