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en chef de l’armée d’Italie, le moral des troupes, qui commençaient à moins redouter leurs ennemis que leurs propres chefs ; mais lorsqu’il croyait toucher au but de ses désirs, ce prince rencontra une épreuve plus dangereuse pour l’honneur de son nom que l’oisiveté où s’était jusqu’alors écoulée sa vie. Dans la pensée du monarque, surtout dans celle de son ministre Chamillart, le commandement déféré au prince devait être à peu près nominal. Il était prescrit de lui rendre en honneurs éclatans tout ce qu’on lui refuserait en puissance effective. Le duc de La Feuillade, devenu général d’armée comme son beau-père, était ministre de la guerre, et le maréchal de Marcin, triste flatteur de son collègue, demeuraient seuls en fait chargés du soin d’appliquer les instructions stratégiques libellées par le roi lui-même chez Mme de Maintenon, sous les yeux de Mme la duchesse de Bourgogne, qui, du milieu de ses jeux et de ses tendresses calculées, en épia, croit-on, plus d’une fois le secret pour le transmettre au duc de Savoie, son père.

Le duc d’Orléans eut à peine passé les Alpes, qu’il comprit sa position et l’immense responsabilité qu’elle lui préparait. Tant qu’il ne prétendit appliquer qu’à l’administration de l’armée la rare puissance d’organisation et la minutieuse entente des détails dont il était doué à un degré peu ordinaire, on le laissa faire sans obstacle, et les hommages des chefs s’unirent aux bénédictions des soldats ; mais lorsqu’après avoir épuisé le rôle d’intendant il voulut prendre celui de général en chef, des résistances respectueusement formulées lui révélèrent la mesure dans laquelle on entendait à Versailles se servir de l’autorité de son nom et de la puissance de son épée. À l’ordre itérativement donné de changer les dispositions défectueuses prises pour le siège de Turin et de faire sortir l’armée des lignes qui allaient lui être si funestes, La Feuillade répondit par une désobéissance flagrante ; le maréchal de Marcin suivit, comme toujours, l’exemple de son collègue, et des prérogatives du commandement il ne resta bientôt plus au duc d’Orléans que le droit de chercher la mort en soldat dans la funèbre journée qu’il faudrait nommer le Waterloo de Louis XIV.

Deux blessures, dont l’une fut d’abord réputée mortelle, prouvèrent que, dans cette déplorable campagne, l’amertume des déceptions n’avait pas amorti le fougueux courage du prince. L’extrémité où fut réduite l’armée après la bataille de Turin l’empêcha durant plusieurs jours de songer à une vie dont son patriotique désespoir aurait voulu hâter le terme ; mais, ayant vainement tenté un dernier effort pour faire agréer en conseil de guerre un plan qui consistait à pénétrer en Lombardie au lieu de repasser les Alpes, le duc d’Orléans rentra en France, paré de la seule gloire à recueillir dans les