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Sous un prince voluptueux dont les droits et les prétentions successoriales étaient déjà secrètement contestés par la branche espagnole de la maison de Bourbon, le parlement pouvait à coup sûr, après de pareils débuts, se croire en mesure de tirer de la minorité de Louis XV un profit égal à celui qu’il avait fait sous d’autres régences. Les bons procédés du régent étaient d’ailleurs en parfait accord avec les principes si résolument professés, et ses choix avaient donné à ses promesses la sanction la plus éclatante. Le procureur-général d’Aguesseau, l’honneur du parlement, était revêtu du titre de chancelier,.et pour prix de ses conclusions dans la séance décisive du 2 septembre, l’avocat-général Joly de Fleury était appelé à remplacer le grand magistrat que l’épreuve du ministère devait laisser bientôt si fort au-dessous de sa juste renommée. Les six conseils avaient reçu une importante adjonction de notabilités parlementaires, et les chefs de la bourgeoisie avaient vu s’accomplir leur double espérance, car non-seulement ils avaient pris pied dans les affaires publiques, mais ils y étaient entrés à côté des grands seigneurs. Cependant, la trêve fut courte entre le pouvoir et le parlement qui l’avait institué, et une année ne s’était pas écoulée que les incompatibilités d’humeur et d’instinct avaient éclaté de toutes parts.

C’est que le parlement, merveilleux instrument d’une opposition qu’il revêtait du prestige de la justice, était un détestable moyen de gouvernement. Constitué pour signaler les abus, il était porté à méconnaître jusqu’aux premières nécessités du pouvoir. Son titre était d’ailleurs trop contestable et trop contesté pour qu’il ne puisât pas dans cette incertitude même des dispositions permanentes à l’agitation. Enfin les troubles des minorités avaient trop servi sa puissance pour qu’il ne regrettât pas un peu d’avoir à les comprimer. « Qu’attendre de ces grands corps judiciaires ? a dit cette fois avec justice le plus persévérant détracteur de l’ancienne société française. Qu’attendre d’hommes dont les pouvoirs sont des problèmes, dont toutes les entreprises ont le charme des conquêtes, qui sans cesse aspirent à rompre par le fracas des affaires publiques la monotonie des fonctions judiciaires, qui, privés d’une part active dans l’administration, n’y peuvent influer que comme obstacles, et sont réduits à remplacer l’honneur de faire le bien par le plaisir de faire du bruit ? Cette dernière jouissance est d’ailleurs si propre au caractère national, qu’on a constamment vu dans nos guerres civiles le prix des offices du parlement tripler de valeur chaque fois qu’un brevet de factieux y était implicitement renfermé[1]. »

  1. Histoire de la Régence, par Lémontey, t. Ier, p. 174.