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eût permis de jouer depuis l’avènement de Henri IV à la couronne, le régent entrait en lutte avec le parlement, se rapprochant du gouvernement de Louis XIV par l’esprit de sa politique intérieure comme par le rétablissement des institutions précédentes. La trêve des magistrats avec la régence avait à peine atteint le terme de quelques semaines. Dominée par ses traditions et sans se rendre compte des nécessités qu’imposait la liquidation d’une dette, gigantesque, cette compagnie regardait comme son premier devoir d’opposer ses remontrances à tous les édits royaux rendus en matière de finance, qu’il s’agît du visa, de la refonte des monnaies, ou de la juridiction attribuée à la chambre de justice. La guerre commencée contre les plans du duc de Noailles devint plus vive encore quand Law eut obtenu pour sa banque un privilège particulier, et elle prit le caractère d’une lutte acharnée lorsque, en 1718, cette banque reçut l’autorisation de fonctionner sous le patronage de l’état, avec la pleine disposition des revenus publics. Un assaut quotidien d’arrêts du parlement et d’arrêts du conseil, en renouvelant les scènes de la précédente minorité, rendit l’obéissance incertaine et fomenta à la cour et dans les provinces l’esprit de faction. Cependant les obstacles allaient grossissant d’heure en heure. Pendant que les orateurs parlementaires réveillaient les échos si longtemps muets de la grand’chambre, où princes du sang, législateurs, ducs et présidens à mortier menaçaient de remettre aux chances d’un pugilat le sort de leurs prétentions ; pendant que les robes noires de la Sorbonne ameutaient les passions pour signer l’appel et préparer une révolution religieuse, Alberoni accumulait sur tous les points du globe les matériaux d’un immense incendie, et le cabinet de Madrid mettait en question jusqu’au droit du premier prince du sang à la régence ne désespérant pas de rallier, au nom de Philippe V, des mécontens qu’il savait nombreux et qu’il croyait puissans. Le duc d’Orléans, qui n’aimait du pouvoir que les joies faciles et qui ne se trouvait à l’aise que dans une orgie ou dans une bataille, entra d’emblée dans une carrière antipathique à sa nature, car les dangers devaient en être conjurés, non par le courage, mais par la vigilance, non par l’épée, mais par l’adresse. Brouillé avec le parlement et le jansénisme, qui naguère l’avaient acclamé, et transformé de général en diplomate, il perçut nettement cette vérité : que le premier intérêt de la France, après cinquante années de guerre, était de sauvegarder la paix du monde. Nous le verrons lier avec obstination sa propre destinée au triomphe d’une pensée qui demeurera l’honneur de son gouvernement et son titre principal devant la postérité.


LOUIS DE CARNE.