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envers le grand poète, si nous faisons certaines réserves, les mêmes précisément que Gustave Planche crut devoir faire. Non, jamais il n’entra dans sa pensée, comme on l’a dit sottement, d’être injuste envers Victor Hugo. S’il eût voulu en faire une victime, il n’eût été que ridicule, et n’eût pas blessé aussi profondément. Il a contesté certaines applications du génie de Hugo, et ses appréciations sont restées l’expression un peu dure, il est vrai, mais franche, de la vérité. Toutes ses prédictions ont été réalisées à la lettre. Depuis des années, il avertissait l’école romantique qu’elle faisait fausse route et qu’elle ne tarderait pas à sombrer ; l’accomplissement de la prophétie ne se fit pas attendre. Son dernier avertissement date de 1838 (représentation de Ruy Blas), et coïncide pour ainsi dire avec le dernier soupir de l’école romantique. Lorsqu’il revint d’Italie en 1845, la déroute était complète : l’école avait eu son Waterloo dans la représentation des Burgraves, elle avait perdu sa force militante, et ses soldats, dispersés et sans lien désormais, assistaient, tristes comme les débris de la vieille garde, à la restauration de la tragédie détestée. Gustave Planche avait donc été un prophète de malheur, si l’on veut, mais un prophète après tout. En face de l’accomplissement de ses prédictions, que signifiaient les colères qu’il avait soulevées ? L’événement prouvait qu’il avait eu trop raison, et si, comme on l’en accusait, il avait été animé par un esprit de haine, il fallait avouer que sa haine l’avait bien inspiré. Cette accusation de haine n’est cependant pas mieux fondée que les autres. Je n’ai aucune envie de rechercher les causes d’une querelle qui est connue de tout le monde littéraire, et dont il est inutile d’instruire le public. Tout ce que je dirai, c’est que si par hasard Gustave Planche nourrissait en secret des ressentimens contre le poète, ces ressentimens n’entrèrent jamais pour rien dans ses critiques et dans ses jugemens. Il fit même tout ce qu’il put pour faire entendre au poète, dans des articles que le public ne dut comprendre qu’à demi, que son animosité personnelle n’influençait pas son esprit, et qu’ami ou ennemi, son jugement n’eût pas changé. C’est là le sens secret de plusieurs articles publiés à des intervalles considérables, les Royautés littéraires, Moralité de la Poésie, les Amitiés littéraires, où il s’efforce de faire