Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/705

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

places sur les bancs de la trésorerie. La chose paraissait facile. En effet, le parti de lord Derby dans la chambre des communes, quoique compact, ne comprend pas plus du tiers des membres de cette chambre. La tentative de reprendre le pouvoir était même commandée à lord Palmerston et à ses amis par l’importance et la gravité des affaires que l’Angleterre a en ce moment sur les bras. Il y a l’Inde à reconquérir et à réorganiser ; il y a dans l’état de l’Europe de graves questions à surveiller, à ménager ou à résoudre. Laisser aux prises avec de si grands intérêts et de si terribles difficultés un ministère faible, sans majorité dans la chambre des communes, un ministère dont les membres sont presque tous novices aux fonctions administratives et au maniement des grandes affaires, ce devait être, au point de vue de lord Palmerston et de ses amis, abandonner à tous les hasards les plus vastes et les plus pressans intérêts de l’empire britannique. Il fallait donc ressaisir le pouvoir dès cette session ; il fallait y rentrer en s’entourant de toutes les lumières et de toutes les forces du parti whig ; il fallait constituer avec les élémens les plus importans du parti libéral un gouvernement fort et durable. Il n’y avait plus qu’à saisir la première occasion et à souffler sur le ministère insuffisant de lord Derby.

L’occasion ne s’est pas fait attendre, et il faut convenir qu’au premier moment il était difficile de résister à la tentation qu’elle offrait à lord Palmerston et à ses amis, et que les choses se présentaient d’abord de la façon la plus défavorable au ministère de lord Derby. Le gouverneur-général de l’Inde, lord Canning, après avoir traversé avec une constance et une modération d’esprit remarquables les plus mauvais jours de la révolte, est en ce moment appliqué à l’écraser dans son dernier et plus redoutable foyer, le royaume d’Oude. C’est lui qui a dirigé l’armée de sir Colin Campbell sur la capitale de ce royaume, sur Lucknow. Lucknow est pris : ce grand coup militaire frappé, lord Canning croit devoir frapper un grand coup politique, en déclarant par une proclamation, aux propriétaires féodaux du royaume d’Oude, qu’à six exceptions près leurs droits de propriété sont confisqués, et qu’il n’y a pour eux d’espoir de recouvrer leurs possessions que dans une soumission immédiate et absolue. Certes cette proclamation de lord Canning est un acte étrange et d’une sévérité terrible. La confiscation est une violation du droit qui répugne aux sentimens du peuple anglais. Dans la répression d’une révolte, l’équité ordinaire indique que l’on ne peut pas punir un peuple en masse par une peine commune, que là clémence doit être générale, et le châtiment l’exception ; renversant ce principe, lord Canning fait du châtiment la mesure générale, et de la clémence le cas exceptionnel. Les habitans de l’Oude ne sont point dans la situation des cipayes : ceux-ci, soldats de la compagnie, sont des révoltés militaires, et, par les abominables cruautés dont ils ont souillé leur sédition, ont appelé sur eux les plus terribles représailles ; le peuple d’Oude n’est annexé aux possessions britanniques que depuis deux ans, il n’a pris part à la révolte que lorsque les cipayes sont venus porter la guerre chez lui et se sont emparés de Lucknow ; en prenant les armes, il n’a fait que revendiquer son indépendance si récemment perdue. Enfin, comme mesure politique, n’y a-t-il pas à craindre que la proclamation de lord Canning, au lieu de dompter l’ennemi, ne l’exaspère,