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gues[1], son âme à toutes les épreuves. À peine a-t-il passé les Alpes que les courages se relèvent, les ressources se créent comme par enchantement, et les barrières que la nature ou la saison semblaient rendre insurmontables sont franchies. Une armée, improvisée avec des dépôts et des recrues, mais conduite par le proconsul en personne, paraît soudainement de l’autre côté des Cévennes, au foyer de l’insurrection, et force l’ennemi à passer de l’offensive à la défensive. Après ce premier coup, on frémit en voyant Brutus rester seul au milieu des Arvernes avec une poignée d’hommes : Vercingétorix va l’écraser ; mais en allant rallier ses légions vers Langres, César a prévu qu’accablé de nouvelles contradictoires, le chef gaulois promènerait son armée du nord au midi et du midi au nord sans être à temps sur aucun point, et l’événement donne raison à cette audacieuse sagacité. En peu de jours, le proconsul a fait presque tout le tour de la Gaule, rassemblé ses troupes, soumis le pays au nord de la Loire, concentré l’insurrection dans le Berri et l’Auvergne, sans que Vercingétorix ait pu ni battre Brutus, ni secourir aucun de ses alliés. Quand on songe à ce qu’étaient alors les communications, on peut à peine croire à ce prodige d’activité et de génie.

Un éclatant succès, la prise de Bourges, est le fruit de ces belles combinaisons. Il semble qu’ensuite le grand capitaine ait trop compté sur sa fortune. Quelques mouvemens ayant de nouveau éclaté dans le nord, il fait rétrograder Labienus sur Paris avec quatre légions, tandis que lui-même en conduit six dans le sud sur les traces de Vercingétorix. Cette dispersion inopportune de ses forces faillit lui coûter cher : il ne put enlever Gergovie[2], dont il avait commencé le siége. Dans un assaut infructueux et entrepris, dit-il, contre ses ordres, il convient d’avoir perdu 700 hommes et 46 centurions. Mais Suétone[3] nous apprend qu’il essuya un échec important (clades) et qu’une légion, probablement la 8e[4], fut mise en déroute. Bien que Suétone soit plus chroniqueur qu’historien, il est généralement véridique, et dans cette circonstance la promptitude avec laquelle César leva le siége semble confirmer son assertion. L’armée romaine fut abandonnée de ses auxiliaires ; ses bagages, ses approvisionnemens, le trésor, les chevaux de remonte qui avaient été laissés à Nevers, furent enlevés et détruits par les Gaulois. Dans cette situation critique. César prit son parti avec sa fermeté ordinaire. Il battit en retraite à marches forcées, non vers

  1. « Armorum et equitandi peritissimus, laboris ultra fidem patiens, etc. » Suetonuis, D. J. Cæsar., c. 57.
  2. À huit kilomètres sud-sud-est de Clermont-Ferrand.
  3. D. J. Cæsar., c. 23.
  4. De Bello GAllico, lvii, c. 47 à 51.