Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/759

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se conduisent bien envers leurs maris, et les hommes rendent fidèlement l’argent qu’ils ont emprunté. Un poète anglais s’est demandé qui valait le mieux d’eux ou de nous : Who are most fautless ?

La bande des Stanleys devait se rendre le lendemain à une course de chevaux. Je me promis d’assister de bonne heure aux préparatifs de leur départ. Il n’est guère de spectacle plus curieux que le déplacement de ces caravanes qui reportent l’esprit vers les scènes du désert ou vers les temps primitifs de l’histoire. Je fus surtout frappé de leur attention pour les vieillards et les infirmes. La vieille centenaire, qui jouissait seule du privilège d’une chaise dans l’intérieur du camp, fut chargée avec toute sorte de sollicitude sur un âne. Il y avait soixante ans qu’elle n’avait dormi dans un lit. Elle était connue de tous les fermiers du voisinage, qui lui donnaient volontiers de la paille et des alimens. Comme elle était aveugle (je ne m’en étais point aperçu d’abord), un jeune garçon se chargea de conduire l’âne et de veiller sur la mère, comme on l’appelait. La procession se mit en marche : un chariot léger transportait les bagages, le matériel des tentes ; jeunes, vieux, femmes, enfans, tous suivaient, tous allaient pêle-mêle, noircissant leurs lèvres aux mûres sauvages des buissons et leurs mains aux noix qu’on pouvait abattre des arbres. Quelques jeunes filles cueillaient entre les haies des marguerites et d’autres fleurs des champs que les enfans appellent dans les campagnes fleurs de gypsies (gypsies flowers). Ces ornemens naturels servaient à nouer leurs cheveux et faisaient mieux sur leur front bruni que la plus riche coiffure de perles. Les gypsies sont les premiers voyageurs du monde. Ils ont un calendrier naturel avec toute sorte de pronostics pour le beau ou le mauvais temps, tirés du vol de certains oiseaux, de la direction des nuages, de la couleur de l’eau dans les fontaines. On trouve chez eux comme chez les sauvages la mémoire des lieux prodigieusement développée. Ils savent qui habite dans chaque maison. Arrivées dans un village, les femmes connaissent tout de suite le marteau [knoker) de la maison où elles peuvent frapper. Comme elles vivent sur la crédulité publique, cette science des familles, des caractères et des habitudes locales leur est d’un grand secours pour tirer l’horoscope de la personne qui veut ouvrir le livre de la destinée. Ce ne sont pas non plus les gypsies qui se trompent sur les dispositions plus ou moins bienveillantes des paysans à leur égard. Quelques fermiers anglais ont pris le parti de vivre en bons termes avec ces maraudeurs, leur ouvrant leurs granges, leur permettant de secouer quelques arbres à fruit ou leur marquant un coin sur leurs terres. Ils se sont dit que les gypsies étaient comme les corbeaux : moins on leur donne de liberté, et plus ils en prennent. Accordez-leur comme à l’oiseau de