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ou de colère, tout montrait qu’elle était bien de sa race. Elle paraissait fort attachée à une jeune fille anglaise du même âge qu’elle-même. Cette dernière étant tombée dangereusement malade, Zizilla se rendit un soir chez son amie. Debout près du lit, les cheveux flottans, une main sur le cœur de la malade, l’autre levée vers le ciel, elle prononça dans sa langue mystérieuse une formule de conjuration. Je ne croyais point à la vertu de ces paroles magiques, il est probable qu’elle n’y croyait point elle-même ; mais son visage inspiré, ses yeux fixes et animés d’un feu étrange, n’en formaient pas moins une scène de mœurs intéressante. Son mari, que Zizilla appelait le grand commandant de la nuit, the great ruler of the night, faisait exception au commun des gypsies par ses connaissances : il venait la voir de temps en temps, car il continuait de rôder avec la bande. La jeune Anglaise, qui était romanesque sans avoir lu de romans, avoua plus tard avoir été attirée chez la gypsy par le costume, la figure et les manières excentriques de cette espèce de Robin Hood. Zizilla le savait, mais elle s’effrayait peu d’une rivale aux cheveux blonds et aux yeux bleus, dans les veines de laquelle coulait, selon les idées des gypsies, le sang pâle des sauvages. Quoique sous un toit, elle avait conservé les habitudes de la tente : sur trois chambres que contenait la maison, elle n’en habitait qu’une, et se plaignait souvent de manquer d’air et de jour. L’hiver, elle était encore assez tranquille ; mais, dès que venait le printemps, elle parlait avec un certain enthousiasme de la belle vie qu’on mène dans les bois, du plaisir qu’il y a de voir les étoiles scintiller à travers la toile de la tente et les feux sauvages danser dans la bruyère. Le printemps est la saison critique : il agit sur le sang voyageur des gypsies domiciliés comme sur celui des oiseaux en cage. Zizilla partait alors et allait rejoindre la bande, dont elle se séparait à la fin de l’automne. Un jour néanmoins elle partit pour ne plus revenir.

La société fondée par le révérend George Crabb obtint, à travers beaucoup de désenchantemens, quelques succès. Seize gypsies réformés vivaient en 1832 à Southampton ; ils avaient renoncé au vagabondage et exerçaient diverses industries. Trois autres familles demandèrent à prendre leurs quartiers d’hiver sous l’aile de l’institution. Les enfans allaient aux écoles, et les adultes eux-mêmes apprenaient à lire. Cette œuvre produisit du bien ; mais ceux qui savent, pour l’avoir lu dans l’histoire, avec quelle lenteur et à travers quelle série d’événemens les races nomades se sont fixées ne s’étonneront point que cette tentative partielle n’ait exercé aucune influence sur la condition générale des gypsies en Angleterre. Rattacher ces êtres flottans au toit domestique est incontestablement le but que doit se proposer le moraliste. Dans l’état actuel des faits,