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monstrueux soufflet, battent en cadence de leurs lourds marteaux le fer rouge qui étincelle sur l’enclume. Ces scènes sauvages n’ont sans doute pas peu contribué à entretenir les idées superstitieuses de la population locale, qui considère les gitanos comme des êtres fantastiques, comme de noirs démons sortis d’un des soupiraux de l’enfer. En Angleterre, la même disposition s’est transformée : ils se livrent dans leurs courses errantes à ce genre d’industries métallurgiques dont l’exercice n’exige qu’un appareil simple et aisément portatif. Il n’est peut-être pas d’exemple plus frappant de la ténacité de certaines aptitudes de caste[1]. Les gypsies ne se montrent pas non plus étrangers à quelques branches de commerce qui s’associent volontiers avec la vie nomade. En Orient, plusieurs zingarri vendent des pierres précieuses et, il faut le dire, des poisons. Ce n’est pas, bien entendu, cette dernière source d’industrie que je conseillerais de favoriser ; mais si, dans leur état actuel d’ignorance, les gypsies se montrent très peu scrupuleux sur la nature de leurs transactions, si, en fait de morale économique, ils ne connaissent guère que le principe de l’offre et de la demande, cela n’exclut point l’aptitude commerciale, et ce sont les facultés de la race que je m’applique à discerner.

J’ai indiqué le genre d’occupations vers lequel les gypsies semblent attirés par une sorte de penchant inné. Je dois dire maintenant quelles sont les professions sociales pour lesquelles ils témoignent peu de goût. On leur défendit longtemps de porter les armes ; mais les longues guerres de la fin du règne de Louis XIV firent tomber ce préjugé, et les armées françaises, aussi bien que celles des confédérés, enrôlèrent alors un certain nombre de gypsies. Plusieurs d’entre eux désertèrent les drapeaux. Lorsque Napoléon envahit l’Espagne, il avait dans ses légions pas mal de gypsies hongrois. Leur premier soin en pays ennemi fut de se mettre en rapport avec leurs frères les gitanos de la Péninsule, car chez eux l’amour du sang est plus fort que la différence des couleurs sous lesquelles ils marchent. Quelques autres d’entre eux ont combattu de même en Espagne, mais dans l’armée anglaise, lors de la guerre de l’indépendance contre les Français. Il y eut un jour une rencontre furieuse entre les deux partis. Ce n’était plus un combat, c’était une lutte d’homme à homme. Au milieu de cette confusion, deux soldats, dont l’un portait l’uniforme anglais et l’autre l’uniforme français, se mesuraient désespérément corps à corps. Le soldat français appuya son genou sur la poitrine de son adversaire, et il levait sa

  1. La division du travail, à en juger par les pratiques des Romany, était à l’origine un fait gravé dans le sang des diverses races indiennes.