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se répéter ; mais sa mémoire était un véritable fléau, qui ne lui permettait pas d’omettre la plus minime circonstance, et quand il parlait de lui-même, il ne supposait jamais que l’on pût se lasser de l’écouter.

Marguerite, qui savait par cœur le récit de l’événement, put n’y pas prêter grande attention et s’entretenir quelques momens à voix basse avec Mlle Potin. Le résultat de cette courte conférence, que Cristiano remarqua fort bien, fut bientôt visible pour lui. La bonne Potin saisit au vol le moment où le vieillard finissait son histoire et allait s’embarquer dans une autre, pour lui demander avec une insidieuse candeur l’explication d’un paragraphe qu’elle prétendait n’avoir pu comprendre dans son dernier ouvrage.

Cristiano admira le génie inventif de la femme en voyant avec quelle chaleur le savant s’absorba dans une discussion avec la gouvernante, tandis que les yeux de Marguerite disaient clairement au jeune homme : — Je meurs d’envie de vous parler ! — Il ne se le fit pas dire deux fois, et la suivit à l’autre extrémité du petit hémicycle, où elle s’assit sur une banquette, tandis que, debout auprès d’elle, en dehors de l’embrasure et dans une attitude respectueuse, il la masquait adroitement aux regards des allans et venans.

— Monsieur Christian Goefle, lui dit-elle en le regardant avec attention encore une fois, c’est étonnant comme vous ressemblez à monsieur votre oncle !

— On me l’a dit souvent, mademoiselle ; il paraît que c’est frappant !

— Je n’ai pas bien vu, et même je peux dire que je n’ai presque pas vu sa figure ; mais son accent, sa prononciation,… c’est la même chose absolument !

— J’aurais cru pourtant avoir le timbre un peu plus frais ! répliqua Cristiano, qui avait pris soin au Stollborg de vieillir de temps en temps ses intonations.

— Oui, sans doute, dit la jeune fille, il y a la différence de l’âge, quoiqu’on puisse dire que monsieur votre oncle a encore un très bel organe. Après tout, il n’est pas bien vieux, n’est-ce pas ? Il ne m’a pas paru du tout avoir l’âge qu’on lui donne. Il a des yeux magnifiques, et il est presque de votre taille…

— À peu de chose près, dit Cristiano en jetant un regard involontaire sur l’habit du docteur en droit, et en se demandant si Marguerite le raillait ou l’interrogeait de bonne foi.

Il prit le parti de brusquer l’explication. — Mon oncle et moi, dit-il, nous avons encore une autre ressemblance : c’est l’intérêt bien vif que nous portons à une personne de votre connaissance et le dévouement dont nous sommes animés pour elle.

— Ah ! ah ! dit la jeune fille en rougissant encore, mais avec une