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— Le major Larrson sera bien habile s’il en vient à bout, dit Marguerite. Pour moi, j’ai déjà entendu dire ici tant de choses sur le compte de Christian Waldo que je promets d’avance de ne pas croire un mot de ce que nous allons entendre.

— Pourtant, répondit le major, je suis tout prêt à jurer sur l’honneur que je ne dirai rien que je ne sache pertinemment. Christian Waldo est un comique italien, qui va de ville en ville, réjouissant les populations par son esprit aimable et son intarissable gaieté ; son spectacle consiste…

— Nous savons cela, dit Marguerite, et nous savons aussi qu’il donne ses représentations tantôt dans les salons, tantôt dans les tavernes, aujourd’hui au château, demain dans la hutte, prenant très cher aux riches et jouant souvent gratis pour le peuple.

— Voilà un plaisant original, dit Cristiano, une espèce de saltimbanque !

— Saltimbanque ou non, c’est un homme extraordinaire, reprit le major, et un homme de cœur, qui plus est ! Je l’ai vu à Stockholm, le mois dernier, tenir bravement tête à trois matelots ivres et furieux, l’un desquels, ayant cruellement maltraité un pauvre mousse, s’était vu arracher sa victime par Christian Waldo indigné. Une autre fois ce Christian s’est jeté au milieu des flammes pour sauver une vieille femme, et tous les jours il donnait presque tout ce qu’il gagnait à ceux qui excitaient sa pitié. Enfin le peuple des faubourgs l’aimait tant qu’il a été forcé de partir secrètement, dit-on, pour n’être pas porté en triomphe.

— Et aussi, dit Marguerite, pour n’être pas forcé d’ôter son masque, car les autorités commençaient à s’inquiéter d’un inconnu si populaire, et à se demander si ce n’était pas un agent de la Russie qui débutait ainsi afin de pouvoir, en temps et lieu, fomenter quelque sédition.

— Vous croyez, dit Cristiano, que ce drôle de corps, car il paraît que c’est un drôle de corps, est un espion russe ?

— Oh ! moi ! je ne le crois pas, répondit Marguerite. Je ne suis pas de ceux qui veulent que la bonté et la charité servent à cacher de mauvais desseins.

— Mais ce masque ? dit une des jeunes filles qui avaient avidement écouté l’officier : pourquoi ce masque noir qu’il porte toujours pour entrer dans son théâtre et pour en sortir ? Est-ce pour représenter l’arlequin italien ?

— Non, puisqu’il ne paraît jamais de sa personne dans le spectacle qu’il donne au public. Il a une raison que nul ne sait.

— C’est peut-être, observa Cristiano, pour cacher quelque lèpre ?