Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/811

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je peux vous dire, repartit le major, comment je l’ai su, moi. Un inconnu a demandé l’hospitalité ici, on lui a dit d’aller à la ferme parce que la maison était pleine. Il s’est nommé, il a montré la lettre du majordome Johan, qui l’appelle de la part du baron, son maître, pour le divertissement de la société ici rassemblée. Je ne sais pas si on a trouvé un coin pour le loger au château ou ailleurs ; mais il est arrivé, le fait est certain.

— Qui vous l’a dit ?

— Le majordome lui-même.

— Et il avait son masque ?

— Il avait son masque.

— Et est-il grand, gros, bien fait, bancal ?

— Je n’ai pas fait ces questions-là, puisque, l’ayant vu de mes yeux, à Stockholm, masqué il est vrai, je savais qu’il est grand, bien pris et leste comme un daim.

— C’est peut-être un ancien danseur de corde ? dit Cristiano, qui ne paraissait plus prendre intérêt à la conversation que par complaisance.

— Oh ! pour cela, non, dit Marguerite ; c’est un homme qui a reçu une très belle éducation. Tout le monde est frappé du style et de l’esprit de ses comédies.

— Mais qui prouve qu’elles soient de lui ?

— Des gens versés dans toutes les littératures anciennes et modernes affirment qu’il n’y a rien de pillé, et ses saynètes bouffonnes, que l’on dit parfois sentimentales aussi, ont été à Stockholm un événement littéraire.

— Croyez-vous que nous l’entendrons demain ? demanda-t-on de toutes parts.

— Cela est à présumer, répondit le major ; mais si ces demoiselles sont impatientes de le savoir, j’offre de me mettre à sa recherche et de le lui demander.

— À minuit ? dit Cristiano en regardant la pendule : le pauvre diable doit être endormi ! Je croyais que la comtesse Marguerite avait à entretenir l’assistance d’un projet plus sérieux.

— Oui, au fait, s’écria Marguerite, j’ai à vous proposer un petit bal entre nous. Je suis ici une nouvelle-venue, une vraie sauvage, je m’en confesse ; je ne suis connue de vous que depuis deux ou trois jours, mais toutes les personnes que je vois ici m’ont fait tant d’accueil et de bonnes prévenances, que j’ai le courage d’avouer… ce que M. Goefle va avoir l’obligeance de vous dire.

— Voici le fait, reprit Cristiano : la comtesse Marguerite est, comme elle vous l’a dit elle-même, une vraie sauvage. Elle ne sait rien au monde, pas même danser ; elle est disgracieuse au possible, et boiteuse au moins autant que notre illustre maître Stangstadius.