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dinier qui a été à son service, et qui m’a donné des détails assez curieux. Le baron est sujet à des crises que son médecin appelle nerveuses, et qui proviennent d’une maladie du foie déjà ancienne. Dans ces crises, il donne parfois les marques d’une étrange frayeur. Lui, le sceptique et le moqueur, devient pusillanime comme un enfant : il voit des fantômes, et particulièrement celui d’une femme. Alors il s’écrie : Voilà, voilà, ce qui signifie : Voilà mon accès qui me prend ! — ou bien : Voilà mon rêve qui m’étouffe !

— Ce serait donc un remords ?

— On prétend que c’est le souvenir de sa belle-sœur…

— Qu’il a assassinée ?

— On ne dit pas qu’il l’ait tuée, mais qu’il l’a fait disparaître.

— Oui, le mot est de meilleure compagnie…

— Mais n’est peut-être pas plus fondé que l’autre, reprit le major. Le fait est qu’on n’en sait rien, et que le baron est peut-être fort innocent de maint crime dont on l’accuse. Vous savez que nous vivons ici sur la terre classique du merveilleux. Les Dalécarliens ont horreur des choses positives et des explications naturelles. Dans ce pays-ci, on ne se heurte pas contre une pierre sans croire qu’un lutin l’a poussée exprès ; et si le nez vous cuit, on court chez la sibylle pour qu’elle vous ôte le poison du nain qui vous a mordu ; et si un trait se casse à une voiture ou à un traîneau, le conducteur, avant de le raccommoder, ne manque pas de dire : « Allons, allons, petit lutin, laisse-nous en paix ! nous ne te faisons point de mal. »

Au milieu de ces esprits superstitieux, vous pensez bien que le baron de Waldemora n’a pu s’enrichir, comme il l’a fait, sans passer pour un alchimiste. Au lieu de supposer qu’il était payé par la tsarine pour soutenir les intérêts de sa politique, on a trouvé plus naturel de l’accuser de magie. De cette accusation à celle des plus noirs forfaits, il n’y a qu’un pas : tout sorcier noie dans les cascades, engloutit dans les abîmes, promène les avalanches, conduit le sabbat, et se nourrit pour le moins de chair humaine, modeste en ses appétits féroces s’il se contente de sucer le sang des petits enfans. Quant à moi, j’en ai tant entendu, que je ne peux plus prendre aucun récit au sérieux. Je me borne à croire ce que je sais, et ce que je sais, c’est que le baron est un méchant homme, trop lâche pour frapper un autre homme, trop bien nourri et trop dégoûté pour boire du sang, trop frileux pour guetter les passans sous la glace des lacs, mais capable d’envoyer son meilleur ami à la potence, pour peu qu’il eût un intérêt personnel à le faire, et qu’il n’y eût à dire qu’une parole méchante et calomnieuse.

    outre de son casuel. Le soldat de l’indelta a son torp, sa maisonnette avec un jardin et quelques arpens de terre. L’indelta est une armée rurale dont l’excellente organisation, créée par Charles XI, n’a d’analogue nulle part.