Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait l’avantage de vivre sur le pays ennemi, et d’épargner à ses alliés le fardeau d’une armée à nourrir ; c’était là sans doute une considération fort importante. Mais si telle était la résolution de César, pourquoi Labiénus aurait-il quitté Agendicum ? pourquoi ne pas se réunir, s’arrêter sous les murs même de cette place, où étaient depuis longtemps les magasins, les impedimenta ? D’ailleurs il ne faut pas croire qu’on pût subsister sur le territoire d’une tribu gauloise insurgée comme on le fait de nos jours sur celui d’une province européenne occupée militairement. Si l’on excepte quelques bourgades bâties en des lieux naturellement forts et qui servaient de refuge, quelques grandes villes riches et commerçantes, je doute fort que nos ancêtres tinssent beaucoup plus à leurs cabanes que les Arabes à leurs gourbis. En ce moment, le mot était donné, l’enthousiasme était général ; les villages devaient être brûlés, les troupeaux emmenés au loin, les grains détruits ou enterrés. De plus, le pays des Senonais était déjà épuisé ; six légions y avaient passé l’hiver[1]. Il eût donc fallu pour les Romains, fatigués comme ils l’étaient, vivre laborieusement, se garder, faire des reconnaissances, fournir des escortes et des détachemens, assurer leur subsistance par des espèces de razzias. Au contraire, en remontant de deux ou trois marches, ils imposaient, il est vrai, une certaine charge à leurs alliés ; mais ils pouvaient leur offrir des compensations, ils les protégeaient d’ailleurs et les contenaient. Pour eux-mêmes, ils trouvaient le repos et l’abondance ; enfin les communications avec la Germanie devenaient moins longues et moins difficiles.

Par toutes ces raisons, je placerais César, pendant cette période d’inaction apparente, sur la rive droite de l’Aube, entre Arcis[2] et la Voire, ou même, si on le trouve là trop rapproché des Tricasses (Troyes), cliens des Senonais, et par conséquent ennemis de Rome, je le ramènerais jusqu’à la Marne, vers Vitry. Cette position aurait même eu l’avantage, en le rapprochant de Reims sans l’éloigner beaucoup de Langres, d’assurer encore mieux ses communications avec la Germanie, et c’était là le point essentiel, la suite le démontrera. Nous le laisserons donc là sur l’Aube ou sur la Marne, attendant l’essaim de Barbares que l’appât du butin et sa grande renommée attiraient vers lui, et observant avec soin les mouvemens de l’ennemi.

  1. B. G., VI, 64.
  2. Dans tout le cours de ce travail, nous nous servons des noms de villes et de villages que nous présente la carte actuelle de la France pour désigner plus clairement les positions ; ce sont en quelque sorte des points de repère. Nous n’avons pas besoin d’ajouter que nous ne faisons aucune application de ces noms à la géographie de l’ancienne Gaule.