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nations bien diverses. Sur l’isthme continental qui sépare la Mer-Noire de la Mer-Caspienne, la Russie lutte contre les tribus rebelles qui lui disputent avec acharnement les passages montagneux par lesquels elle veut s’ouvrir l’accès de la Perse. Dans les steppes nus qui remplissent cette singulière dépression du globe dont la Mer-Caspienne et le lac Aral forment le centre, elle se trouve en présence de hordes nomades dont le territoire la sépare des régions les plus riches et les moins connues de l’Asie centrale. Au-delà de la ligne des steppes, la frontière sibérienne n’est plus qu’une succession de chaînes de montagnes où des routes ne pénètrent qu’en quelques points seulement, depuis l’Altaï jusqu’à la mer d’Okhotsk et à la région volcanique du Kamtchatka.

On connaît assez généralement l’histoire des luttes que la Russie a soutenues dans le Caucase pour y établir et y consolider son autorité ; mais il y a beaucoup d’informations à recueillir encore sur les tentatives qu’elle a faites pour reculer les frontières de la Sibérie et augmenter son influence dans les autres parties de l’Asie[1]. Les expéditions dans les steppes et sur le territoire chinois n’ont été l’objet que de rapports sommaires perdus pour la plupart dans des journaux ou des recueils russes, et dont une partie seulement nous a été révélée par des traductions allemandes. Tous ces documens se distinguent d’ailleurs par une grande réserve, par la rareté des détails et l’absence de toute considération politique. Cette circonspection doit s’expliquer en partie par la crainte de porter ombrage à d’autres nations et de fournir un nouvel aliment aux accusations qu’on élève contre l’ambition de la Russie. Ceux qui seraient tentés de la représenter comme l’épouvantail de l’Europe devraient pourtant la voir sans mécontentement, puissance asiatique autant qu’européenne, tourner ses efforts du côté de l’Asie. Les entreprises de cette puissance du côté de l’Orient absorbent une partie considérable de ses forces. Voilà soixante ans qu’elle s’épuise à assujettir les Tcherkesses et qu’elle engloutit des armées et des trésors dans les gorges du Caucase : l’occupation permanente de ces contrées l’oblige encore à y entretenir des forces très considérables. Aujourd’hui d’ailleurs les craintes inspirées par le système politique de la Russie sont en partie dissipées. Instruit par de sévères leçons, le souverain qui la gouverne paraît renoncer à la politique funeste de son prédécesseur, pour prendre la généreuse initiative des réformes intérieures : les plus graves questions sociales s’agitent dans son empire, réveillé d’une longue et terrible oppression. La situation

  1. La Revue a déjà donné à ce sujet, dans sa livraison du 15 avril dernier, une curieuse étude sous ce titre Progrès de la civilisation russe en Asie.