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champ de bataille entre le gouvernement et la magistrature. Si celle-ci avait attaqué la trop fameuse compagnie mississipienne lorsque des émissions monstrueuses eurent manifestement mis en péril le capital engagé, et quand des manœuvres frauduleuses eurent donné à ses actions une valeur dont la seule base était l’aveuglement public, une telle intervention aurait été aussi utile que légitime. Le parlement au contraire avait commencé la guerre contre Law bien avant qu’il ne fût devenu un ennemi public : la création si utile de sa banque, ses premières opérations pour donner aux innombrables titres de la dette publique l’élasticité de circulation qui leur manquait, avaient rencontré une résistance encore plus acharnée que la création de la compagnie d’Occident et l’abandon de toutes les ressources du royaume à un ministre, transformé en charlatan. Law fut moins poursuivi comme téméraire et comme fripon que comme étranger et comme novateur, et le palais détestait encore plus le fondateur du crédit, et l’habile financier que le colonisateur chimérique de la Louisiane.

Attaquer un homme qui, avant de ruiner des actionnaires imbéciles, plus dignes de mépris que de pitié, avait rendu au trésor l’immense service de substituer tout à coup l’abondance à la pénurie, c’était blesser le régent dans ses plus chaleureuses convictions et renverser l’édifice de ses plus brillantes espérances. Il rendit donc au parlement guerre pour guerre, et d’Aguesseau ne tarda pas à succomber dans la lutte engagée entre un prince dont il partageait toujours l’avis quand il s’agissait d’opiner et des magistrats vers lesquels il inclinait toujours quand il s’agissait d’agir. Le duc de Noailles et le maréchal d’Huxelles, qui avec le chancelier avaient formé ce que l’on a quelquefois nommé le premier triumvirat de la régence, tombèrent du pouvoir comme d’Aguesseau, lorsque le gouvernement eut perdu le double caractère parlementaire et aristocratique que lui avait conféré son origine. Ils disparurent naturellement et sans disgrâce quand la gravité des conjonctures eut conduit le duc d’Orléans à concentrer le pouvoir aux mains d’hommes tout dévoués à la pensée nouvelle qu’ils allaient appliquer au dedans comme au dehors. De ce jour-là, la régence eut ses agens personnels, comme elle avait sa politique et sa physionomie propres.

À l’intérieur, l’homme principal du régent fut son garde des sceaux d’Argenson, qui connaissait le parlement, nous dit son fils, « comme les grands généraux connaissent ceux contre lesquels ils ont longtemps fait la guerre[1]. » L’ancien lieutenant de police de

  1. Mémoires et Journal inédit du marquis d’Argenson, ministre des affaires étrangères sous Louis XV. (Edit. Janet, tome Ier, p. 17.)