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Le traité, signé par l’abbé Dubois, le général Cadoghan et le pensionnaire Heinsius, touchait en effet à des intérêts plus importans encore que ceux de deux dynasties. Il impliquait de la part de la France, de l’Angleterre et de la Hollande, la garantie de tout le système politique fondé à Utrecht, et l’on sait que les bases principales de ce système étaient, avec l’établissement de Philippe V sur le trône d’Espagne et des Indes, l’attribution à l’Autriche des anciennes possessions espagnoles en Flandre et en Italie, et l’octroi de la Sicile au duc de Savoie à titre de royaume. Ce fut à l’exécution de ces dispositions que les signataires de la triple alliance s’empressèrent de rappeler tous les cabinets, afin de prévenir par un arbitrage la guerre qui menaçait le monde d’un nouvel et plus terrible embrasement.

Le succès des négociations de La Haye avait été assez éclatant pour que Dubois pût enfin paraître sur un grand théâtre, où il appliqua durant deux années à la solution de toutes les questions pendantes la politique nouvelle dont personne ne lui contestait l’initiative. Revêtu du titre d’ambassadeur, il se rendit à Londres. De ce jour s’opéra dans cet homme, qui étouffait jusqu’alors sous sa livrée mal recouverte, une sorte de transfiguration. L’aristocratie la plus exclusive de l’Europe vit un vieux précepteur, à la santé détruite, aux mœurs communes, à la langue cynique, se mettre à son niveau à force d’esprit de représentation et de dépense. Il joua si bien son rôle qu’il parut prendre au sérieux les plaisirs et les goûts dont il subissait la contrainte avec le plus d’effort, et qu’il put soutenir jusqu’au bout cette lutte quotidienne contre lui-même par la seule pensée de faire profiter sa patience à son ambition et ses ennuis à ses intérêts.

Le cabinet britannique parvint, après de longs efforts, à triompher des rancunes de l’empereur Charles VI en lui montrant, s’il s’obstinait à méconnaître les faits accomplis, la France prête à se joindre à l’Espagne pour obtenir enfin la reconnaissance du petit-fils de Louis XIV, qui régnait à Madrid depuis dix-huit ans. L’Angleterre n’obtint toutefois de ce monarque taciturne une sorte de silencieuse adhésion à une clause qui l’humiliait que moyennant l’engagement de joindre la Sicile aux domaines d’Italie, dont les traités d’Utrecht et de Rastadt avaient garanti la possession à l’Autriche. Or ces mêmes traités avaient assuré la Sicile au duc de Savoie. Il fallait donc que la France et l’Angleterre, imitant à leur tour, contre un prince fourbe, les astucieuses pratiques dont il était coutumier, imposassent à Victor-Amédée, en échange d’une possession solennellement garantie, l’onéreuse compensation de la Sardaigne.