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un moment sur le point de faire fléchir Elisabeth, ainsi que l’atteste le marquis de San-Felipe, l’obstination de son ministre dans des projets où sa haine contre les Allemands tenait une plus grande place que son dévouement à l’Espagne ne tarda pas à éteindre des lueurs passagères de modération et de bon sens. Fasciné par une double illusion sur la faiblesse politique de la régence et la faiblesse militaire de l’Autriche, Alberoni marcha avec une résolution inébranlable dans la route au bout de laquelle il allait trouver sa perte, mais qu’il suivit assez longtemps pour attirer sur l’Espagne le dernier des malheurs celui d’une guerre avec la France.

L’énergie de cet homme avait galvanisé l’Espagne plutôt qu’elle ne l’avait ranimée. Il avait fait sortir d’un état de ruine, que la veille encore on réfutait irréparable, une armée nombreuse, une flotte d’assez belle apparence et des fourgons chargés des piastres du Mexique ; mais en contemplant tant de merveilles il oubliait que des recrues ne sont pas plus une armée que des vaisseaux sans commandans ne sont une flotte, que des métaux importés ne sont la richesse. À la formation de la triple alliance il avait répondu en envahissant la Sardaigne, possédée par l’empereur, de telle sorte qu’à la difficulté de faire accéder le roi de Sicile au plus pénible des échanges était venue se joindre celle d’arracher à l’Espagne l’île qui en formait l’objet. Ce succès militaire avait été bien loin d’améliorer la situation politique du cabinet espagnol, que ses violences isolaient chaque jour davantage.

Saisissant l’occasion de faire contraster sa conduite avec celle de son ennemi, l’empereur résolut d’agréer les conditions de paix arrêtées par la France, l’Angleterre et la Hollande, et ces conditions devinrent entre l’Autriche et ces trois puissances les bases d’un quadruple traité qu’après dix-huit mois de négociations laborieuses, Dubois revêtit enfin de sa signature, en signalant avec raison cet accord comme la consécration de sa politique et le signal certain du rétablissement de la paix[1]. Cette coalition, qui proclamait le respect des traités antérieurs et entendait appliquer à toutes les questions pendantes des solutions équitables et modérées, ne fit reculer ni un roi maniaque ni un ministre furieux. À la notification de la quadruple alliance Alberoni avait répondu par l’ordre adressé à la flotte espagnole de s’emparer de la Sicile et d’y renverser la domination du duc de Savoie, prenant ainsi au piège le vieux renard que toute l’Europe réputait en accord secret avec lui. La conquête de cette île était à peine consommée, que l’armée de Philippe V se préparait

  1. La quadruple alliance fût signée à Londres le 2 août 1718. Dumont, Corps diplomatique, tome VIII ; page 531, première partie.