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et pliait sous la mystérieuse puissance cachée au fond du palais sacré de Delhi ; mais le temps avait peu à peu relâché les liens de cette espèce de suzeraineté : un simple tribut représentait tous les devoirs d’allégeance, lorsque les Anglais se trouvèrent pour la première fois en contact avec le nabab-vizir qui régnait à Lucknow. Lord Cornwallis conclut avec lui des arrangemens analogues à ceux qu’avaient déjà souscrits plusieurs autres souverains du même ordre. Les attributions du gouvernement étaient divisées en deux parts. L’une, comprenant tout ce qui a trait à la défense du territoire et aux relations avec les états étrangers, devenait le domaine des Anglais, bien entendu moyennant subside ; l’autre, concernant l’administration intérieure, restait au prince ou à ses agens. Le nabab régnant, comme il arrive la plupart du temps, n’était qu’un souverain purement nominal, gouverné par son ministre, devenu lui-même l’instrument de la puissance anglaise. L’intervention de cette puissance n’empêcha pas, semble-t-il, les abus de s’accroître ; les exactions destinées à pourvoir au subside, venant s’ajouter à celles qui défrayaient le luxe du souverain, aggravèrent purement et simplement la situation des sujets. Le pays s’appauvrissait de jour en jour ; les impôts, devenus excessifs, ne rentraient pas ; les arrérages dus à l’Angleterre allaient s’accumulant d’année en année, et les lettres, éloquentes de lord Cornwallis au nabab, pleines de reproches poignans et d’utiles conseils, ne changeaient en rien cette situation déplorable. Quand lord Cornwallis eut été remplacé par lord Mornington (depuis lord Wellesley), celui-ci, qui avait à se prémunir contre les attaques prévues des peuplades guerrières de l’Afghanistan[1], crut dangereux de laisser subsister dans les provinces où l’ennemi pénétrerait sans doute une organisation militaire indigène capable de lui créer des embarras. Il voulut donc en finir avec « son excellence le vizir, » et lui demanda nettement de licencier toutes ses troupes, l’armée anglaise d’occupation, qu’on aurait soin d’augmenter, — moyennant augmentation du subside, — devant suffire à tous les besoins, soit de la défense des frontières, soit de la répression des troubles intérieurs. Le vizir, persuadé que toute résistance ouverte était inutile, essaya de la diplomatie ; il parla de ses répugnances, demanda des délais, manifesta l’intention d’abdiquer. Cette menace touchait peu lord Wellesley, qui était tout prêt à permettre l’abdication mais au profit de la compagnie. Le vizir au contraire entendait transmettre le pouvoir à un membre de sa famille. Comme il insistait sur ce point,

  1. Les Afghans, en 1796, avaient fait irruption dans l’Inde, et Zemanah ou Zemaum-Schah, dont les états s’étendaient des bouches de l’Indus au parallèle de Cachemire, des frontières des Sikhs jusque dans le voisinage de la Perse, s’était avancé jusqu’à Lahore à la tête d’une armée de 33, 000 hommes, presque uniquement composée de cavalerie.