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pour crimes ou délits. Une de ces tentatives (1849) eut les résultats suivans. Cinq des prisonniers furent tués, vingt-cinq furent repris, quarante-sept s’échappèrent et allèrent prendre du service sous le drapeau de leur libérateur. Au confluent des rivières Ghogra et Chouka est le fort de Bhitolee, où se maintient un autre taloukdar nommé Gorbuksh. Gorbuksh a des comptes embrouillés avec le fisc ; il est aussi sous le coup de certaines poursuites plus sérieuses que la police des frontières (police anglaise) entend diriger contre lui. Aussi se tient-il prêt, et quatre mille hommes abrités derrière les murailles de sa forteresse, quatre mille complices de ses brigandages, lui serviront au besoin de cautions. Naturellement il les faut nourrir, et il n’y a pas de quoi s’étonner beaucoup si Gorbuksh, dont la redevance annuelle comme percepteur d’impôts monte à 200,000 roupies (500,000 fr.), et qui, sur cette somme, a obtenu remise du quart, ne verse plus, depuis trois années consécutives, des mains du trésorier de la couronne une seule pagode étoilée[1]. On a voulu procéder envers lui par les voies de rigueur ; elles ont échoué misérablement : il a fallu temporiser d’abord, céder ensuite. Gorbuksh, en revanche, entend la science fiscale beaucoup mieux que les agens anglais. Les propriétaires qu’il tient sous sa domination acquittent fort régulièrement leur tribut, et il perçoit ainsi chaque année un revenu évalué à 250,000 roupies (625,000 fr.). Il a un fils qui écume ouvertement les grandes routes, et qu’il désavoue très haut pour cette conduite irrégulière. Au fait et au prendre, père et fils se valent et s’entendent à merveille. Dans la bande du fils s’enrôlent ceux qui feraient trop éclatante figure dans l’armée du père, lequel est, tout comme ses ancêtres depuis plusieurs générations, magistrat héréditaire, officier public, administrateur des revenus du gouvernement.

On ne nous demandera pas sans doute une longue galerie de portraits pareils ; ceux-là suffisent pour caractériser un état social. Ce qu’il entraîne de conséquences déplorables est facile à deviner. Les petites guerres féodales de taloukdars à taloukdars ruinent peu à peu le pays. On n’y cultive plus en paix que les terres possédées par ces riches seigneurs, et là seulement peut s’apprécier la fertilité naturelle de ce sol admirable, qui du territoire d’Oude avait fait jadis une sorte de jardin. Le laboureur, quand il a vu sa moisson ravagée, sa chaumière détruite, déserte ou le pays ou son ingrat métier. Il émigre ou se fait brigand, lui aussi. Parfois il essaie de se défendre, et tombe en soldat à la limite de son champ envahi. Sur ce champ, désormais abandonné à sa fécondité propre, le berger nomade

  1. La plus petite des monnaies d’or indiennes. Elle vaut environ dix francs.