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Lawrence d’amener quatre compagnies du 32e, deux corps d’infanterie indigène et quatre canons, avec lesquels il vint entourer les mutins, qui perdirent courage et prirent la fuite. On fit beaucoup de prisonniers, on ramena par de simples conseils un bon nombre de fuyards, et le tout aboutit à un durbar (une revue) où sir Henry Lawrence, entouré d’un brillant état-major, distribua des récompenses à ceux des officiers et soldats indigènes qui s’étaient fait remarquer par leur bonne attitude. Le commissaire en chef profita de l’occasion pour haranguer, en bon hindoustani, ses soldats et la foule accourue au durbar. Il cita la campagne de Crimée comme une preuve éclatante de ce que l’Angleterre pouvait faire au besoin : cinquante mille hommes étaient allés combattre en son nom la Russie ; cent mille au besoin viendraient dans l’Inde en trois mois de temps, les circonstances l’exigeant.

Si ce discours, écouté avec une attention profonde, contribua au rétablissement provisoire de la tranquillité dans la garnison de Lucknow, ce résultat seul fut un signalé service. Dix jours plus tard, après avoir reçu la nouvelle de la chute de Delhi, sir Henry Lawrence demanda des pouvoirs extraordinaires qui lui furent accordés avec le grade de brigadier-général, et il se hâta de prendre les précautions qui, à tout événement, devaient le mettre en état de garder Lucknow. Ses instructions, il est vrai, lui laissaient toute latitude : il pouvait, s’il le trouvait à propos, évacuer la capitale de l’Oude, et même la province ; mais en lui confiant un arbitraire aussi large, le gouverneur-général savait d’avance qu’à moins d’une nécessité absolue, un homme de la trempe d’Henry Lawrence ne voudrait ni reculer ni lâcher prise. De fait, si Lucknow eût été abandonné avant que les révoltés eussent été contraints de rendre Delhi, on ne saurait dire combien le prestige du pouvoir britannique eût souffert, et ce que ce double désastre eût ajouté de révoltes à celles qui déjà s’étaient produites.

Cependant les nouvelles désastreuses arrivaient à Lucknow de tous les points de la province. Les villes se soulevaient l’une après l’autre ; à Fyzabad, à Sultanpore, à Duriabad, à Salona, l’insurrection triomphait. Les villages à leur tour et les villages-cipayes[1], tous au moins aussi volontiers que les autres, se mêlaient au mouvement. On n’entendait parler que de collecteurs massacrés, de

  1. Ceux où les cipayes retraités et pensionnés par la compagnie forment la majorité des habitans. Nous aurions voulu pouvoir entrer dans quelques détails sur les curieux privilèges que leur assurait la protection du résident anglais et les abus auxquels cette protection donnait lieu. Ces abus irritèrent profondément la population, et ne servirent pas, comme on l’espérait sans doute, à créer pour les momens de crise des cliens fidèles à la puissance anglaise.