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évident que les tournures et les habitudes des pékins qu’il avait à former lui firent passer, malgré la gravité des circonstances, des momens fort agréables ; mais, après s’être quelque peu amusé à leurs dépens, le brave et loyal soldat ne manque pas de leur rendre justice.

« Nos volontaires, dit-il, faisaient à l’exercice une singulière figure ; mais il eût bien fallu se garder de les juger sur l’apparence. Dans ces rangs si gauchement alignés, et où de si étranges caricatures eussent pu être signalées, il se trouva pendant le siège des hommes intrépides, pleins de courage et d’entrain. À les prendre en bloc, ils firent un excellent service, et sans nos volontaires il eût été absolument impossible à la garnison de défendre tous les points menacés… Nonobstant toutes ces petites absurdités, ajoute-t-il après avoir énuméré les ridicules prétentions de certains d’entre eux à l’élégance de la tenue et à la précision des allures militaires, je dois admettre que les drill-sergeants (sergens instructeurs) les mirent assez vite à même de charger et de tirer, ce qui était l’essentiel, et n’était point chose si facile, la plupart n’ayant jamais manié un mousquet ni seulement vu la moindre cartouche à balle… Quelques-uns cependant, et même des eurasiens, avaient des fusils à deux coups, et ceux-là faisaient très bonne besogne à l’heure des attaques. Au bruit du clairon, nous les voyions accourir, le mousquet dans une main, le fusil de chasse dans l’autre, et c’était ce dernier qu’on réservait pour les momens difficiles, ceux où l’ennemi serrait de trop près nos défenses. »

Cette addition à la force numérique de la garnison était d’autant plus impérieusement requise que, dès les premiers jours de juin, sir Henry Lawrence, ne voulant garder autour de lui que des hommes à peu près sûrs, avait renvoyé, à peu d’exceptions près, tout ce qui lui restait des régimens révoltés. Le désarmement de ces soldats avait eu lieu sans difficulté, et ils étaient partis avec un congé en règle, qui s’étendait jusqu’au mois d’octobre. Bon nombre d’entre eux peut-être allèrent grossir les rangs des rebelles ; mais ceux-là même, ne valait-il pas mieux les avoir pour ennemis que pour aides ? Il n’y avait déjà, malgré les précautions prises, que trop de trahisons à redouter[1]. Les canonniers indigènes, tant ceux de la résidence que ceux de la Muchie-Bhaoun, étaient placés sous le feu des batteries européennes, autour desquelles on veillait jour et nuit, et dans l’enceinte fortifiée n’étaient strictement admis que ceux à qui des passes en règle avaient été délivrées.

  1. « Vingt-cinq cipayes, sous l’escorte desquels étaient arrivés les fugitifs de Sitapore, et à qui sir Henry Lawrence, en sus de la récompense pécuniaire qui leur était due pour cet acte de fidélité signalée, avait formellement promis des grades, déclaraient néanmoins que, si le rajah Maun-Singh se déclarait contre les Anglais, ils iraient tous le rejoindre, fallût-il pour cela tirer sur leurs officiers. Ces dangereux auxiliaires furent naturellement désarmés et congédiés. » (Journal d’un officier d’état-major, p. 20.)