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croire, pendant quelques minutes, qu’ils battaient en retraite ; mais ils se portaient en masse, avec leurs canons, sur la droite des Anglais, qu’ils voulaient tourner. Ils lançaient en même, temps sur la gauche de nombreux tirailleurs, qui allaient renforcer ceux dont on avait garni d’avance les maisons d’Ishmaelpore. Les soldats du 32e, leur colonel en tête, avaient pénétré dans ce village. Une balle abattit leur chef et, découragés par ce désastre, ils se retirèrent derrière un pli de terrain, d’où ils continuèrent le feu avec une rare vivacité.

La manœuvre ennemie se développait cependant, évidemment dirigée, par un tacticien exercé. On voyait circuler dans les rangs des insurgés un cavalier de bonne mine, blond, bien fait, de vingt-cinq ans environ ; avec l’uniforme de petite tenue des régimens de cavalerie européenne, coiffé d’une casquette bleue à galons d’or. Peut-être était-il Russe[1] ; peut-être aussi, — M. Rees le laisse entendre, — était-ce un de ces renégats qui, renonçant à leur religion, adoptent les mœurs et jusqu’aux passions politiques de leur nouvelle patrie. Ce fait n’a jamais été éclairci. Toujours est-il que ce personnage équivoque déployait un vrai talent militaire et que, s’il eût eu de vrais soldats sous ses ordres au lieu de ces timides cipayes, toujours méfians d’eux-mêmes et de leurs supérieurs pas un homme de l’expédition anglaise ne fût probablement rentré à Lucknow. En effet, tandis que le feu de l’infanterie et de l’artillerie se soutenait de part et d’autre, la cavalerie ennemie descendait à la droite des Anglais, cherchant à les déborder et à leur couper la retraite. Les tirailleurs de gauche, qui occupaient Ishmaelpore, étendaient de plus en plus leur ligne, et, par un mouvement analogue à celui de la cavalerie, tâchaient de venir se rejoindre à elle sur les derrières de la colonne commandée par sir Henry Lawrence.

Dès le début de l’affaire, ce vaillant officier avait pu concevoir de tristes pressentimens sur l’issue probable d’une lutte trop inégale. Les deux premiers coups de canon, tirés par les rebelles ayant atteint ; dans les rangs de l’artillerie indigène, un hamldar (sergent) et un des chevaux, les autres canonniers se hâtèrent de descendre avec leurs pièces au bas d’une pente qui les protégeait ; mais d’où, le cas échéant, ils ne pouvaient que très difficilement sortir, soit pour l’attaque, soit pour la retraite. De plus, quelques-uns de ces canonniers avaient passé à l’ennemi ; et l’on comprend sans peine que tous ces incidens avaient jeté beaucoup de désordre dans les manœuvres M. Rees parle aussi de la défection de trois cents hommes de police,

  1. On avait arrêté quelque temps auparavant, et relâché ensuite, un voyageur qu’on soupçonnait d’appartenir à cette nation.