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I. — LE DESERT.

Dans les derniers jours de décembre 1849, Barth et Overweg, précédant en Afrique M. Richardson, qui ne devait pas tarder à les rejoindre, se trouvaient à Tunis, d’où ils partirent le 30 du même mois, après quelques préparatifs. La première heure de 1850 les trouva cheminant déjà loin du monde avec lequel ils venaient de rompre, le visage tourné vers l’inconnu, et près de la Syrte, sur une des stations de la route qui allait les mener de Tunis à Tripoli, ils échangèrent leurs poignées de main et leurs vœux pour le succès de leur vie nouvelle.

Rien de triste et de désolé comme ce misérable état de Tunis. Ce n’est pas que la nature lui ait refusé ses dons : loin de là, une superbe végétation y déploie souvent toute sa magnificence, et les Romains y ont laissé des vestiges de leur puissance et de leur grandeur ; mais le luxe de la nature et les débris du passé ne font que rendre plus affligeant le contraste de la misère présente : peu ou pas d’industrie, quelques chétives demeures, une population misérable qui végète sous la dure oppression des soldats du bey. Il est surprenant de voir combien peu la proximité des peuples européens et le contact de la mer qui baigne les pays les plus civilisés du monde a profité aux états musulmans qui bordent le littoral de la Méditerranée. Toutefois M. Barth affirme que la régence de Tripoli est dans un état beaucoup moins déplorable que celle de Tunis. Sur cette terre semée jadis de villes fameuses, les Romains ont tracé partout leur forte empreinte ; on trouve des tronçons d’aqueducs, des tombeaux, des portiques non-seulement sur la côte, mais même bien avant dans le désert.

À Tripoli, où nos voyageurs arrivèrent après une navigation de quelques jours et un voyage par terre, qui ne furent ni sans ennui, ni sans périls, il fallut attendre pendant un mois M. Richardson, que les derniers préparatifs de l’expédition retenaient encore. Ce délai, les impatiens voyageurs l’employèrent en excursions dans un assez large rayon autour de la ville. Ils se dirigèrent dans le sud-ouest d’abord, à seize ou dix-huit milles[1] à travers une contrée aride et sablonneuse entrecoupée de bouquets de verdure, jusqu’à la chaîne de montagnes du Jebel-Yefren et du Ghurian, dont les pics bouleversés fournissent de pittoresques points de vue ; la nature y déchaîne de temps en temps des ouragans tels que des torrens se creusent des lits dans ce sol de roc et de pierre, et ramassent une masse d’eau suffisante pour se précipiter, à travers plusieurs lieues de sable, jusqu’à la mer. Cette contrée est habitée par de belliqueux montagnards, Arabes et Berbères, qui ne subissent qu’avec impatience l’oppression des soldats turcs du bey, et dont les villages, pendus aux flancs des montagnes, perdus dans les ravins, souvent dévastés, sont toujours des foyers de rébellion. Des monumens du temps des Antonins s’y dressent encore. Le château Ghurian, une des places fortes du pays, est assis sur des montagnes droites comme des falaises ; alentour sont

  1. Le mille anglais est de 69 1/2 au degré et vaut 1,610 mètres.