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La route qui mène de Murzuk à Ghat coupe le désert presqu’en ligne droite de l’est à l’ouest. À mi-chemin environ entre ces deux stations se dressent, dans un endroit appelé Telisaghé, de grands blocs de grès sur lesquels des dessins sont profondément creusés. Le plus grand de tous représente un groupe de trois personnages : à gauche, un homme à tête de taureau, avec de longues cornes ; son bras droit est remplacé par une sorte d’aviron, sa main gauche tient une flèche et un arc ou un bouclier ; entre ses jambes, une longue queue pend de son corps étroit. Il est penché en avant, et tous ses mouvemens accusent une certaine vivacité. En face de ce curieux personnage s’en trouve un autre plus petit, mais non moins remarquable : homme jusqu’aux épaules, il a une tête qui rappelle celle de l’ibis égyptien, sans cependant lui être identique. Cette petite tête pointue a deux oreilles et une sorte de capuchon. La main droite tient un arc ; le bras gauche est replié sur le corps. Entre ces deux animaux demi-humains placés dans une attitude hostile est un bouvillon dont les jambes, grossièrement dessinées, se terminent en pointe. Ailleurs un bloc, qui n’a pas moins de douze pieds de long sur cinq de haut, représente un troupeau de bœufs dans les positions les plus variées : d’autres blocs figurent encore des bœufs, des chevaux, des ânes. Ces sculptures ne sauraient être reportées à l’époque romaine ; elles rappellent plutôt l’art égyptien. En tout cas, elles confirment un fait curieux indiqué déjà par un passage de saint Augustin : Les rois des Garamantes aiment à faire usage des taureaux. Au milieu des bêtes de somme figurées dans ces sculptures, aucun chameau n’apparaît ; c’est qu’en effet le chameau est une acquisition relativement récente pour le désert. Au-delà de l’endroit où se voient ces sculptures intéressantes, le chemin suivi par notre caravane se poursuivait sur un plateau terminé à pic par des rocs perpendiculaires de forme fantastique ; il traversait ensuite une plaine aride et couverte de cailloux, puis il s’enfonçait dans une région de hautes montagnes dont les pics, jetés en désordre, revêtent des formes bizarres et pittoresques. L’un d’eux, le mont Idinen, apparaît de loin comme un immense château, avec des groupes de tours et de hautes murailles ; il a frappé l’imagination des indigènes, qui le croient hanté par des génies et qui l’appellent le palais des démons. Barth, espérant y trouver des sculptures ou des inscriptions, résolut d’aller visiter le château enchanté. Les Tawareks essayèrent de l’en détourner, et pas un ne voulut lui servir de guide ; il n’en persista pas moins dans son dessein, et, après s’être fait indiquer la marche que la caravane allait suivre et la direction dans laquelle se trouvait le puits près duquel elle devait camper, il partit seul, muni d’un peu d’eau et de biscuit.

Devant lui s’ouvrait une plaine nue et désolée, couverte de cailloux noirs, à laquelle succédaient quelques herbages où sa présence fit lever de belles antilopes, puis des ravins, des ondulations de terrain semées de larges blocs de rochers ; mais le mont Idinen était plus éloigné que la perspective ne l’eût fait croire, et le pied de la montagne enchantée semblait toujours reculer. Il était dix heures, et le soleil commençait à répandre toute sa chaleur, nulle part le moindre ombrage ; Barth, fatigué et désappointé, dut faire appel à toute son énergie pour descendre au fond d’un ravin qui lui