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établir que ces races présentent entre elles de grandes différences morales et physiques, bien qu’également noires. Les Hausas sont gais, vifs, industrieux ; leur langage, un des plus harmonieux, et des plus flexibles de ceux qui se parlent dans l’intérieur de l’Afrique, est répandu bien au-delà de leurs limites. Les Kanuris sont indolens, tristes, grossiers ; leurs femmes sont laides, plates, elles ont les narines ouvertes et les os saillans. Les premiers ont perdu leur indépendance ; leurs sept royaumes ont été subjugués par cette race des Fellani, Fulbés Fellatahs, Pulo, dont nous avons rencontré déjà les bandes envahissantes avec le docteur Baikie[1], que nous retrouvons ici, et dont il sera souvent question dans tout le reste de ce voyage. Tasawa, Katsena, Kano, Gober, où nous allons suivre l’expédition, étaient des royaumes hausas, et ne sont plus que des provinces fulbés. Au contraire les Kanuris, dont les deux principales provinces, le Kanem et le Bornu, sont réunies sous la même domination, ont réussi, non sans de grandes luttes, à échapper à la conquête des Fellani. C’est au sud, du Bornu que se trouve l’Adamawa, acquisition récente des Fellani. Enfin nous ajouterons, pour éclairer de notre mieux le théâtre de l’expédition, que le Waday et le Bagirmi s’étendent, le premier au nord-est, le second au sud-est du Tsad ; le Waday confine par l’ouest au Darfour, qui lui-même touche au Sennaar et rejoint ainsi les régions du Haut-Nil.

Nous avons laissé les trois voyageurs dans le midi de l’Aïr. Les retards apportés à leur marche par les interminables délais de leurs compagnons indigènes les retinrent longuement dans les environs de Tintellust, et ce fut seulement en janvier 1851 qu’ils traversèrent par un temps froid, où plus d’une fois le thermomètre tomba presque à zéro, le Tagama, dont les habitans, bien que musulmans, venaient leur proposer leurs femmes ou leurs sœurs en échange de quelque présent, puis le Damergu, province tributaire de l’Asben, dont elle est le grenier. La fertilité, les productions, les animaux de ce pays le rattachent pleinement au Soudan. Les girafes y sont en assez grand nombre pour que les naturels mangent la chair de cet animal. Arrivés à la station de Tagelel, les trois voyageurs songèrent à se séparer pour multiplier le résultat de leurs travaux, Richardson résolut de se diriger par Zinder, dans l’est, vers le Tsad ; Overweg dut pénétrer dans l’ouest jusqu’à Gober et à Mariadi ; entre eux, Barth prit au sud la direction de Katsena et de Kano. La capitale du Bornu, Kukawa, qui devait être le centre de leurs voyages dans le Soudan, ainsi que jadis elle l’avait été de ceux de Denham, Oudney et Clapperton, fut désignée comme lieu de rendez-vous général.

Barth et Overweg ne se séparèrent que vers Tasawa, qui est le chef-lieu d’une province du même nom placée sous la domination des Fellani. Du Tasawa, qui ne présente rien de très particulier, Barth poursuivit sa marche, sans quitter la caravane qu’il accompagnait depuis Tagelel, et entra dans la vaste cité de Katsena. C’est une ville à portes étroites, à longues murailles ; les maisons y sont rares et entourées de champs en culture. Il en est ainsi de toutes les villes du Soudan : elles embrassent dans leur circonférence

  1. Voyez la Revue du 1er août 1857.