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de mœurs assez douces, mais d’un caractère d’autant plus sauvage que les Fellani et les Bornouans les pillent également et les emmènent par grands troupeaux en esclavage.

Du Bornu à l’Adamawa, le climat et la configuration du sol changent entièrement : à des plaines basses et coupées par des komadugus, grands déversoirs naturels des cours d’eau, recevant leur trop plein dans la saison des pluies et leur rendant à la saison sèche les eaux qu’ils tenaient en réserve, succède une région montagneuse très fertile et arrosée par le Faro et le Binué, ces deux rivières considérables qui, après s’être réunies, vont grossir le Niger, et que nous avons déjà en partie suivies avec la Pleiad[1]. Par un heureux hasard, Barth allait les traverser juste à leur confluent. Il en avait entendu vanter la largeur, par les naturels, mais ses prévisions furent bien dépassées. Au-delà de la chaîne de montagnes qui est la limite septentrionale de l’Adamawa s’ouvre une région plate où se dressent seulement çà et là, d’une façon inattendue et bizarre, quelques pics isolés : c’est là que le Binué (mère des eaux, telle est la signification de son nom) coule entre une berge élevée de trente pieds qu’il dépasse et recouvre dans ses grands débordemens et une rive plate qui devient alors un lac à perte de vue ; de nombreux et larges marécages attestent ces inondations périodiques. C’est en septembre que les eaux commencent à monter. M. Barth passa les deux rivières en juin et les revit en juillet : le Binué avait alors deux cent cinquante mètres de large et une profondeur moyenne de onze pieds ; le Faro, beaucoup plus rapide, se répandait sur un lit de cent cinquante mètres, mais avec deux ou trois pieds seulement de profondeur. Le premier vient du sud-est et doit prendre sa source à une grande distance, car les indigènes ne savent rien de son origine ; le second sort, à ce que disent les natifs, d’un groupe de montagnes situées à sept journées de marche, et qu’on appelle les monts Lebul ; puis il coule au pied de l’Alantica, groupe montagneux habité par des tribus païennes, et dont les sommets n’atteignent pas moins de neuf mille pieds ; M. Barth les avait presque constamment en vue pendant son itinéraire jusqu’à Yola. Les deux rivières, après leur réunion, arrosent le pied d’une autre grande montagne, le Bagelé, qui n’est plus qu’une île à l’époque des inondations. Le Faro ne rendra jamais de grands services à cause de son impétuosité et de son peu de profondeur ; nous avons vu qu’il n’en est pas de même du Binué : c’est l’artère destinée à porter le commerce européen dans le cœur du Soudan le grand chemin futur de l’Afrique centrale, sans que désormais il y ait à redouter ni les fatigues du désert ni les déprédations des Tawareks. Nous savons déjà qu’il conduit jusqu’auprès de Yola ; est-il navigable beaucoup plus loin dans l’est ? C’est ce que M. le docteur Baikie, que l’Angleterre vient de mettre à la tête d’une seconde expédition dirigée sur cette rivière, nous dira peut-être à son retour.

Les moyens de navigation employés par les naturels sur ces grands cours d’eau sont tout à fait primitifs : ils consistent en troncs d’arbres creusés, longs de vingt-cinq à trente pieds, hauts d’un pied seulement, et larges de seize pouces. C’est sur trois de ces barques informes que M. Barth et ses

  1. Voyez la Revue du 1er août 1857.