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à savoir le climat, la distance et jusqu’à l’élévation de notre morale religieuse, qui choque profondément les habitudes des indigènes en interdisant la polygamie et l’esclavage.

Quelle que soit la période de temps nécessaire à la réalisation de ces lointaines espérances, les découvertes de nos voyageurs ont d’autres résultats lucratifs et immédiats, qui sont la juste récompense de leurs travaux et comme le paiement anticipé de l’assistance que prêtera l’Europe à l’Afrique. L’heure est venue pour les nations commerçantes et industrieuses de planter leur drapeau sur les points qu’elles veulent exploiter dans le vaste marché que l’Afrique va leur offrir. L’Angleterre, qui les a toutes devancées, s’est fait une large part : les voies nouvelles que le Binué, le Niger et le Zambèze ouvrent dans l’intérieur de l’Afrique lui appartiennent ; elle a un consulat à Kukawa, elle a noué des relations avec Kano, Sokoto et toutes ces riches contrées du centre du Soudan qui produisent le coton, l’indigo, le sorgho, le sucre et tant d’autres denrées précieuses. Du Cap elle peut, grâce aux conquêtes de MM. Andersson, Livingstone et autres, étendre son influence sur les meilleures régions de l’Afrique australe.

Dans ce continent, la France doit aussi prendre sa part : nous possédons la terre fertile qui fut un des greniers de Rome, et vingt-huit ans de lutte et d’efforts ont reculé notre domination jusqu’aux limites du désert ; en outre nos couleurs flottent sur le Sénégal et plus loin, à l’embouchure de l’Assinie. Déjà le gouvernement a songé à relier Timbuktu à ces deux centres coloniaux. L’influence française portée en Égypte par la conquête s’y est maintenue à travers mille vicissitudes. Mehemet-Ali s’entourait d’ingénieurs et d’officiers français. C’est sous une direction en grande partie française que s’accomplissent les études qui doivent aboutir au percement de l’isthme de Suez, fait immense dont notre commerce plus que tout autre doit tirer profit. En effet, l’Abyssinie parcourue dans tous les sens par nos voyageurs, Mayotte, colonie récente, Madagascar destinée à redevenir française, Bourbon, dernier vestige de notre puissance dans les mers de l’Inde, ne seront plus, qu’à une courte distance de Marseille et de nos ports du midi. La France, voisine de l’Afrique, l’enserre à l’est, à l’ouest, au nord. Nous avons des points de départ heureusement choisis, des foyers d’où la civilisation, l’industrie, le commerce, tout ce qui fait la force et la grandeur des peuples peut rayonner jusque dans l’intérieur du continent. En un mot, nous sommes à même plus que personne de faire notre profit des découvertes que viennent d’accomplir ces hommes, missionnaires et voyageurs, qui ont confondu dans une œuvre commune leur nationalité, et dont la plupart ont payé de leur vie leurs pacifiques et glorieuses conquêtes.


ALFRED JACOBS.