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JOHN DRYDEN
SON TALENT ET SES ŒUVRES.


Il s’agit d’un jeune homme, lord Hastings, mort à dix-neuf ans de la petite vérole.

« Son corps était un orbe, et son âme sublime — se mouvait autour du pôle de la vertu et du savoir… — Viens, docte Ptolémée, et essaie — de mesurer la hauteur de ce héros… — Les pustules gonflées d’orgueil qui bourgeonnaient à travers sa chair, — comme des boutons de rose, s’enfonçaient dans sa peau de lis. — Chaque petite rougeur avait une larme en elle — pour pleurer la faute que commettait sa naissance, — ou bien étaient-ce des diamans envoyés pour orner sa peau, — sa peau, le cabinet d’une âme intérieure plus riche encore ? — Il n’y eut pas besoin de comète pour prédire ce changement, — puisque son cadavre pouvait passer pour une constellation !

C’est par ces belles choses que débuta Dryden, le plus grand poète de l’âge classique en Angleterre.

De telles énormités indiquent la fin d’un âge littéraire. L’excès de la sottise en poésie, comme l’excès de l’injustice en politique, amène et prédit les révolutions. La renaissance, effrénée et inventive, avait livré les esprits aux fougues et aux caprices de l’imagination, aux bizarreries, aux curiosités, aux dévergondages de la verve, qui ne se soucie que de se satisfaire, qui éclate en singularités, qui a besoin de nouveautés, et qui aime l’audace et l’extravagance, comme la raison aime la justesse et la vérité. Le génie éteint, resta la folie ; l’inspiration ôtée, on n’eut plus que l’absurdité. Jadis le désordre et l’élan intérieur produisaient et excusaient les concetti et les écarts ; désormais on les fit à froid, par calcul et sans excuse.