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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/640

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nua Joseph, mon frère pâlir à ce tableau, et voici ce qu’il m’a répondu : Tu me fais concevoir ce que je n’aurais jamais pensé, la possibilité d’un divorce; mais sur qui, dans cette supposition, dois-je porter mes vues? — Sur une princesse d’Allemagne, lui ai-je répliqué, sur une sœur de l’empereur de Russie. Ose seulement faire ce pas, et tu changes ta condition, la nôtre, sans attendre même que tu aies un enfant. Tout est créé par cela seul; le système de famille est établi, et nous sommes à toi. »

Des querelles violentes, des rapprochemens bientôt suivis de ruptures nouvelles, tels étaient les rapports du premier consul et de Joseph. Napoléon, que le sentiment de sa supériorité et son immense ambition disposaient à ne voir dans les autres hommes, et même et surtout dans les membres de sa famille, que des instrumens de ses projets, se plaignait amèrement de ses frères, qui, lui devant tout ce qu’ils étaient, au lieu de le seconder, se plaisaient à faire la satire de sa conduite, à le blâmer lorsqu’il affectait des formes monarchiques, aie contrarier en tout. « Du reste, ajoutait-il, je ne trouve pas plus d’affection dans tout ce qui m’environne : je vis dans une défiance continuelle; chaque jour voit éclore de nouveaux complots contre ma vie, chaque jour des rapports plus alarmans me parviennent. Les partisans des Bourbons, les jacobins me prennent pour leur unique point de mire, et, comprenant parfaitement que ni les uns ni les autres ne peuvent rien faire sans me perdre, ils sont du moins d’accord sur ce seul point. » Joseph de son côté, et aussi Lucien et Louis, — Jérôme à cette époque sortait à peine de l’enfance, — se révoltaient à la pensée de voir, dans la politique du premier consul, leurs vœux, leurs intérêts, leurs affections, leurs convenances, comptés absolument pour rien et subordonnés d’une manière absolue à ses moindres calculs. De part et d’autre, l’irritation était naturelle, et elle devait sans cesse renaître, parce qu’elle tenait au fond même de la situation.

Au milieu de ces embarras domestiques. Napoléon marchait rapidement vers le trône, tous les obstacles disparaissaient peu à peu, et cependant, comme je l’ai déjà dit, le sentiment public lui était devenu beaucoup moins favorable qu’au début de son gouvernement. Les royalistes, dont un grand nombre avaient d’abord cru trouver en lui un autre Monk, lui étaient décidément hostiles depuis qu’il ne leur était plus possible de se faire illusion sur ses projets. Les républicains, et en général tous les amis de la liberté, ne pouvaient plus se dissimuler qu’elle avait en lui son plus mortel ennemi. La masse de la nation, qui l’avait accueilli comme le restaurateur de l’ordre et le pacificateur de l’Europe, lui savait gré encore de la compression de l’anarchie; mais les espérances qu’elle avait fondées sur la paix un moment rétablie s’étaient déjà évanouies. Au bout de quel-