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guerre qui fut pour le Jura en quelque sorte une guerre de partisans, et qui, au XVIIe siècle, marqua la fin de la domination espagnole dans la Franche-Comté[1]. On dirait, à entendre les récits animés qu’on en fait encore, que la lutte date seulement d’hier. A cette époque, alors que les Espagnols, dans le délire d’un pouvoir près de s’écrouler, poursuivaient les amis de la France avec une cruauté comparable à celle dont a été souillée la conquête du Mexique, l’habitant de la montagne tenait pour un devoir sacré de recueillir les fugitifs sous son toit, même au péril de ses jours.

Cet instinct, qui pousse à prêter secours au malheur, a pour racine un grand fonds d’honnêteté. On serait incapable de dévouement, si l’on était incapable de désintéressement. Il faut s’attendre dès lors à trouver à Septmoncel, dans tous les rapports de la vie, les preuves manifestes d’une inaltérable probité. La confiance la plus significative règne notamment dans toutes les relations qui naissent du travail, confiance d’autant plus importante qu’il s’agit de matières dont les moindres parcelles ont souvent un prix fort élevé. Dans les soins pris pour la conservation des pierres, on paraît plus préoccupé de la crainte de les perdre que de celle de les voir dérober. Jamais un ouvrier lapidaire n’a été taxé d’infidélité, et cependant on lui confie à la fois de la besogne pour quinze ou vingt jours. Les précautions ayant pour objet de constater les quantités dans l’intérêt du fabricant seraient insuffisantes sans la loyauté de l’ouvrier. Partout se révèle une même disposition à la confiance. Ainsi les familles ont la singulière habitude de ne pas conserver chez elles, entre les murs de leur maison, dans la crainte d’un incendie, leurs objets les plus précieux. Une espèce de cabane qu’on appelle réserve, construite à quelques pas dans le jardin, reçoit le linge, les papiers, en un mot toutes les choses auxquelles on tient le plus. Nul ne songe que le dépôt mis de cette façon à l’abri du feu pourrait être exposé durant la nuit aux atteintes d’une main criminelle. Ajoutons qu’il n’y a pas plus de mendians que de voleurs. La mendicité, si commune dans le bas Jura, est tout à fait inconnue dans la montagne.

La générosité des instincts est associée à une sorte de fierté native qui n’a rien de calculé, et qui tient au genre de vie qu’on mène comme aux longues traditions d’une indépendance garantie par l’isolement même. Les lapidaires septimoncelois ignorent les entraves qui gênent et qui compriment. Voyez-les dans les relations avec les intermédiaires dont ils reçoivent la matière à travailler :

  1. Conquise en 1668, la Franche-Comté fut rendue aux Espagnols par le traité d’Aix-la-Chapelle; reconquise en 1674, elle fut laissée à la France par le traité de Nimègue.