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SCÈNES DE LA VIE DES LANDES.

et de la santé. Elle se coiffait suivant une mode du pays qui tend à disparaître tous les jours : elle portait une bélitche. La bélitche est un léger bonnet de dentelle à ailes flottantes posé sur le sommet de la tête et noué sous le cou par un ruban qui, chez les coquettes, est toujours large et d’une couleur éclatante. Ses cheveux, coupés court, séparés par une raie au milieu de la tête, lui couvraient à peine les oreilles et donnaient encore plus de hardiesse et de vivacité à ses yeux d’une beauté vraiment merveilleuse. Elle avait alors plus de vingt ans, et ne paraissait pas trop s’ennuyer de rester fille. Elle menait une vie assez joyeuse que ne respectait pas la médisance. Le fait est qu’elle avait la parole facile et le verbe haut. Une plaisanterie un peu scabreuse ne l’effrayait pas, et elle savait y répondre sur le même ton. Elle n’était pas timide ; mais il ne faut point qu’elles soient timides, ces pauvres grisettes campagnardes qui, pour gagner leur vie, sont obligées jour et nuit d’errer par les chemins déserts. La paysanne est trop méfiante pour confier à la tailleuse l’étoffe qu’elle a fait tisser ou qu’elle a achetée ; elle veut la voir coudre sous ses yeux : cela lui coûte huit sous ! Et pour gagner ces huit sous, la tailleuse fait parfois deux lieues par des chemins à peine frayés. Il faut qu’elle franchisse des ruisseaux, qu’elle escalade des tertres, qu’elle passe à travers des haies. Le plus souvent il fait nuit quand elle se retire, parce qu’on est en hiver, ou parce que la robe appartient à quelque élégante qui veut, pour ses huit sous, être mise à la dernière mode de ce désert. La nuit est noire, la pauvre fille en se retirant passera le long de maisons gardées par des chiens hargneux, à travers des landes où se tient le sabbat, dans des bois où erre le loup-garou. S’il se présente un compagnon de route, elle l’accepte avec reconnaissance. S’il était vieux, elle l’accepterait de même ; mais il arrive le plus souvent que c’est un jeune garçon qui offre la protection de son gourdin, et voilà pourquoi on médit tant dans les campagnes de ces pauvres couturières.

Marioutete ne rentrait pas toujours seule, et on lui connaissait plusieurs galans. Le fait est qu’elle avait trouvé plus d’une fois l’occasion de se marier ; mais sans décourager ouvertement ses prétendans, elle avait éludé jusque-là tout dénoûment officiel. Les mauvaises langues du pays faisaient courir le bruit qu’elle avait dans le cœur un amour vrai pour un garçon que Jean Cassagne ne lui laisserait jamais épouser.

Quand Marioutete accepta la tutelle de la petite Margaride, celle-ci n’avait que douze ans. Ce n’était alors et ce ne pouvait jamais être une rivale à craindre. Elle eût pu être tout au plus un témoin gênant ; mais Marioutete connaissait la timidité de sa jeune cousine, et elle espérait lui imposer facilement silence. Si la Cicoulane n’a-